jeudi 29 novembre 2007

Happy Oh Happy

Vous avez perdu quelque chose de précieux

L’évènement est suffisamment exceptionnel pour être souligné. Une pièce de théâtre coréen était donnée à Paris (Théâtre de Ménilmontant) les 22 et 23 novembre dernier, Happy Oh Happy de la jeune et prometteuse Lee Yun Sǔl (이 운 설). Nous avons eu la chance d’assister à cette pièce, mise en scène par Lee Jong-il (이 정 일), traduite et sur-titrée par Han Yumi (한 유미) et Hervé Péjaudier.

Grand Prix 2005
du Festival International de Kǒchang (거창) (Corée du Sud), Happy Oh Happy présente une facette très intéressante du théâtre coréen contemporain , trop rare en France. Cette pièce n’interroge pourtant que de loin ce que certains nomment la « coranéitude », néologisme tendant souvent à se constituer en réponse automatique aux questions justement sans réponse. La portée de la pièce a une valeur bien plus universelle et il n’y a nul besoin de connaître la Corée et la langue coréenne pour l’apprécier (même si le non coréanophone passera à côté des onomatopées et des blagues ou jeux de mots).


Un curieux « Service des Objets Trouvés Réunis, filiale du service de consignation, filiale de Pandora, service de consignation », est tenu par un personnage au statut indéterminé, vaguement charlatan, aidé par un être humain transformé en chien savant, bavard et lettré, véritable « confuchiien ». Maître et chien sont chargés de retrouver des objets perdus par des insouciants, des paumés arrivés au bout d’un chemin sans trouver de nouvelles ressources. Défile alors une galerie de personnages savoureux et amochés, ayant perdu tour à tour l’amour, la confiance, le courage...

La jeune femme délaissée en a même oublié le visage de son mari, tant elle se consacre à la recherche de l’amour. Le chercheur scientifique lui, consigne toutes les questions et réponses de la vie dans un carnet qui ne le quitte jamais et dans lequel il puise les réparties possibles, mais rate son suicide, faute du courage nécessaire. Le policier qui manque de confiance en soi va chercher l’amitié du voleur, natif du même village, tandis que ce dernier tente d’échapper au fougueux coup de foudre de la jeune femme en mal d’amour. Et puis ce chien susceptible qui hésite entre le statut de chien et celui d’humain, tandis que son maître se prêtera de bonne grâce à la promesse faite de lui trouver une compagne, luimême en l’occurrence…

Ce beau monde perdu, en quête d’essentiel, de leur essentiel, est une formidable réflexion sur les conditions du bonheur dans un monde nourri d’illusions. Cette quête inlassable au travers des réclamations formulées au Bureau des Objets Trouvés est littéralement hilarante, car si personne n’arrive à retrouver l’objet de sa perte, les demandeurs reçoivent en revanche et en retour, des réponses hautement philosophiques de la part du chien, réponses faites dans un humour débridé, très peu encombré par la morale confucéenne.

Le jeu des acteurs et la mise en scène, souvent typique du théâtre coréen, dans laquelle on retrouve musique, acrobaties, 3 costumes colorés, masques et parfois arts martiaux sont autant d’interrogations sur notre société encombrée d’objets de consommation, courant après le bonheur mais oublieuse des valeurs fondamentales qui constituent la communauté des hommes, au-delà de l’illusion de la possession. La pièce empreinte de valeurs bouddhistes ne verse jamais dans la morale. Pas plus qu’elle n’est une pièce purement « coréenne ». Le travail du metteur en scène aide bien, de ce point de vue, à dépasser le message singulier pour aller vers un théâtre à vocation universelle.

On rit du début à la fin, grâce aussi à la traduction et au surtitrage de Han Yumi et Hervé Péjaudier prouvant ainsi que l’on peut très bien, si les conditions techniques sont réunies, sur-titrer une pièce de théâtre, sans nuire à sa réception. Ce travail de traduction restitue le texte coréen à l’humour corrosif et à la portée philosophique non dissimulée, même si on peut reprocher à ce dialogue humour-philosophie, quelques faiblesses d’écriture. Mais ne boudons pas notre plaisir !


La Cie Ipche (입재) composée d’une quarantaine de personnes présente la particularité de travailler sur la base d’un projet collectif, bien éloigné du star system. Elle s’est déjà venue en France l’an dernier, à Avignon et Paris où elle a présenté la pièce Muldoridong, A la Courbe des Eaux (물도리동), un texte de Ho Kyu (호 규) et une mise en scène du même Lee Jong-il. Elle se produit régulièrement à l’international, et c’est sans doute dans ce cadre qu’elle pourrait bien venir un jour à Aix-en-Provence.
(KIM Hye Gyeong et Jean-Claude de Crescenzo)

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