samedi 16 juin 2007

Et de cinq !



Dans la liste des parutions de l'année 2006
dont l'équipe vient de se doter figure un ouvrage très attendu.
Il s'agit du cinquième tome de
l’Inventaire analytique et critique du
conte chinois en langue vulgaire
,
publié par le Collège de France et l’Institut des Hautes Etudes Chinoises
(« Mémoires de l’Institut des Hautes Etudes Chinoises », Vol. VIII-5, 2006, 320 p.).
La sortie du précédent volume de la série remonte, en effet, à 1991.

Cette volmunieuse collection, initiée par André Lévy il y a près de trente ans, « a pour objet de recenser l’ensemble des oeuvres de fiction narrative d’un seul tenant en langue chinoise vulgaire. » La formule reste toujours la même : « Chaque oeuvre est résumée et suivie d’un appendice-commentaire portant notamment sur les personnages et le milieu social décrit, l’époque et les lieux où se déroule le récit, le thème et les motifs développés (à savoir la critique, l’érotisme, la fortune, l’héroïsme, la justice, le talent littéraire, la moralité, le surnaturel). Enfin, sont indiquées les sources directes ou indirectes éventuelles des textes ou leurs influences probables, de même que les traductions qui auraient pu en être réalisées ». Le résumé de la plupart des histoires suit le schéma classique des huaben 話本 : prologue, conte d’introduction, conte principal, conclusion et commentaires. On trouvera également pour chaque récit le nombre de caractères ainsi que des notes sur les parties versifiées et diverses remarques textuelles.

Après les recueils des San Yan 三言 (Les Trois Propos) de Feng Menglong 馮夢龍
(1574-1646) et les séries qui les avait précédés [Tome 1 - 79 contes, 1978 et tome 2 - 80 contes, 1979], les deux volumes des Pai’an jingqi 拍案驚奇 (Frapper du poing sur la table en s’écriant : extraordinaire !) de Ling Mengchu 凌濛初 (1580-1644) [Tome 3 - 79 contes, 1981], le Xihu erji 西湖二集 (Deuxième collection du Lac de l’Ouest) de Zhou Qingyuan 周清源, le Shi dian tou 石點頭, Huanxi yuanjia 歡喜冤家, Yi pian qing 一片情 et Qing ye zhong 清夜鐘 [Tome 4 - 96 contes, 1991], c’est donc pas moins de 85 contes qui ont été lus, analysés et répertoriés pour ce cinquième tome, emmené par la volonté de Chan Hing-ho 陳慶浩, avec la participation de Jacques Dars, Pierre Kaser, Rainier Lanselle et Angel Pino.

Ce volume ne suit pas strictement la chronologie programmée au début de l’entreprise, et ce pour la raison que certaines œuvres antérieures aux premières analysées ont été retrouvées inopinément en cours de route. Le présent ouvrage vise donc à compléter les quatre premiers tomes doublement, « d’abord, en prolongeant la chronologie ; ensuite, en comblant les lacunes. » (p. 5).

Les contes sont tirés de cinq recueils de taille et de tonalité différentes : les Wushengxi 無聲戲 (Comédies silencieuses, 1654-1656 ?, 18 contes W I & W II) du dramaturge et essayiste Li Yu 李漁 (1611-1680), le Doupeng xianhua 豆棚閒話 (Propos oiseux sous la tonnelle aux haricots, 1681 ?, 12 contes, Dp), le Yunxian xiao 雲仙笑 (Les Rires du génie des Nuées ou Les Cris stridents du génie des Nuées, avant 1673, 5 contes, YX), le Xihu jiahua 西湖佳話 (Belles histoires du lac de l’Ouest ou Gu jin yiji 古今遺蹟 (Souvenirs de jadis et de naguère), 1673, 16 contes, Xj) et le Xing shi yan 型世言 (Contes exemplaires, 1632, 40 récits, XSY) composé par Lu Renlong 陸人龍 et commenté par son frère Lu Yunlong 陸雲龍.

« Recueil perdu depuis plus de trois siècles qui a été retrouvé fortuitement par Chan Hing-ho
» à Séoul en 1987, dans l’ancienne bibliothèque royale (actuelle Kyujanggak 奎章閣, bibliothèque de l’université nationale), le Xing shi yan (Contes exemplaires) fait l’éloge de la vertu, de la fidélité, de la loyauté et de la piété filiale, avec des histoires qui mêlent vengeance, adultère, perfidie, trahison et meurtre. Il montre entre autres faits remarquables comment une femme qui déteste sa belle-mère la marie de force en l’absence de son mari (XSY 2), comment un amant assassine sa maîtresse peu vertueuse au lieu de son époux (XSY 5), comment une bru préfère se suicider plutôt que de se laisser posséder par l’amant de sa belle-mère (XSY 6), comment un vassal fidèle et son empereur vivent en fuyards pendant plus de trente ans sous l’identité de moines (XSY 8), comment un fils retrouve son père grâce à un rêve prémonitoire (XSY 9) - thème repris dans XSY 23 - , comment une épouse fidèle rejoint son défunt mari dans la tombe (XSY 10). On trouve encore l’histoire d’un fils prodigue repenti (XSY 15), de lettrés devenus d’honorables fonctionnaires (XSY 16, 18, 19, 32), la machination macabre d’un homme pour s’enfuir avec sa cousine et maîtresse (XSY 21), la réincarnation d’un moine vengeur en la personne du fils de ses assassins (XSY 35), la transformation d’un homme atteint de syphilis en femme, son divorce et son remariage avec un autre homme (XSY 37) ou encore un récit classique de renarde qui devient bienveillante après que ses intentions sont découvertes (XSY 38, histoire traduite par Lao Yan sous le titre « L’Alliance contractée aux bons soins d’une renarde », Littérature chinoise, Pékin, 1994). Touchant à l’univers des maisons closes, de la Cour, des lettrés, des foyers populaires, les histoires, parfois inscrites dans un cadre historique (chute d’une dynastie XSY 8, révoltes XSY 17), allient intrigues, mystères, amour, jalousie et parfois fantastique, faisant du recueil un digne héritier de la tradition des huaben. A noter que tous les contes du Xing shi yan (hormis celui sur la renarde) restent encore inédits en traduction.

Les Wushengxi (Comédies silencieuses) nous plongent dans un univers proche du précédent, mais avec une note d’humour en plus. Le facétieux Li Yu nous montre comment un homme laid épouse trois femmes magnifiques (WI 1), comment un homme se plaint d’une prédiction de physiognominie (WI 4), comment un homme s’émascule par amour et devient la mère parfaite du fils de son ami (WI 6), comment des Roméo et Juliette chinois sont sauvés des eaux (WII 1) etc. Mélangeant histoires de ruine, de vengeance, de machination, les Comédies silencieuses
semblent s’attacher plus particulièrement à faire l’apologie de l’amour et de la loyauté. Plusieurs contes ont été traduits en anglais par Patrick Hanan (W I 1, 2, 5, 6, 9 & W II 1 : Li Yu, Silent Operas, Hong-Kong, The Chinese University of Hong-Kong, 1990), en allemand par Stephan Pohl dans Das Lautlose Theater des Li Yu (um 1655), Eine Novellensammlung der frühen Qing-Zeit ( Walldorf-Hessen : Verlag für Orientkunde Dr. H. Vorndran, 1994 : W I 3, 5, 7, 11 & 12), ainsi qu’en français par Rainier Lanselle dans Le poisson de jade et l’Epingle au phénix (Paris, Gallimard, 1987,) pour les contes W I 6 et W I 10 et Pierre Kaser dans A mari jaloux, femme fidèle (Arles, Picquier, (1990) 1998) : W I 1, « Comment se consoler d’un époux laid » (sous le titre « La laideur récompensée »), W I 5, « Ruses de femme » (sous le titre « Une vraie Chen Ping ! »), W I 7, « L’amour vénal » (sous le titre « Reine de cupidité »), W II 3 « le Maître ès jalousie » (titre inchangé) et W II 6 « Le cocu imaginaire » (sous le titre « A mari jaloux, femme fidèle »).

Le Doupeng xianhua (Propos oiseux sous la tonnelle aux haricots) de l’énigmatique Aina jushi 艾衲居士 tourne autour des qualités morales et de la droiture. On y trouve des histoires de fantômes (Dp 1) et de morts vivants (Dp 11), un conte ayant trait à la légende de Xishi, femme de Yu-le-Grand (Dp 2), des récits qui traitent de la reconnaissance (Dp 3), de l’honnêteté (Dp 4), des exactions du clergé bouddhique (Dp 6), de la vanité du monde (Dp 8), et un conte final qui reproduit le discours d’un docte représentant de l’orthodoxie confucéenne (Dp 12). Seul le premier récit, « Le Gué de la femme jalouse », a été traduit (par Yenna Wu
dans le n° 44 de la revue Renditions sous le titre « Jie Zhitui Traps His Jealous Wife In An Inferno »).

L'ouvrage présente aussi le Yunxian xiao de Tianhua zhuren 天花主人 (Maître des fleurs célestes), et ses cinq contes qui traitent avec beaucoup de finesse et une grande originalité du succès aux examens (YX 1), de la fidélité et de la vertu d’une épouse (YX 2), de l’amour (YX 2, 3), de la générosité (YX 4) et de meurtre (YX 5).

Les Belles Histoires du lac de l’Ouest, Xihu jiahua de Molangzi 墨浪子 de Suzhou cloturent l’ouvrage avec 16 récits édifiants qui mettent en scène des histoires qui se déroulent dans les alentours du captivant Lac de l’Ouest, Xihu 西湖 de Hangzhou. Les contes, présentés sous forme de biographies romancées, traitent de la bonne fortune, de l’héroïsme, du talent littéraire, et ne sont pas sans rappeler par leur forme et leur teneur le Xihu erji. On y rencontre aussi bien l’immortel taoïste Ge Hong 葛洪, auteur du Baopuzi 抱朴子 cher à Philippe Che (La voie des divins immortels. Gallimard, « Connaissance de l'Orient » , 1999)
(Xj 1), les poètes Bai Juyi 白居易 (Xj 2), Su Dongpo 蘇東坡 (Xj 3), Luo Binwang 駱賓王 (Xj 4) et Lin Bu 林逋 (Xj 5), qu'une beauté (Xj 6), un général héroïque (Xj 7), un stratège loyal (Xj 8), des bonzes et des moines (Xj 9, 10, 13, 16) sans oublier des histoires frappantes d'un amour à l'épreuve de tout (Xj 11), d'une liaison amoureuse dangereuse avec un serpent blanc (Xj 15), et l'évocation de la jalousie et la perfidie féminines (Xj 14).

Le sixième et dernier (?) tome de l’Inventaire est en cours de préparation. Il présentera - qui sait quand ?-, des recueils de dates et de contenus aussi différents et passionnants que le présent volume. Il devrait traiter le Longyang yishi 龍陽逸史 (20 contes), le Zuixing shi 醉醒石 (15 contes), le Fengliu wu 風流悟 (8 contes), le Shi’er lou 十二樓 de Li Yu, mais aussi les contes subsistants du Shi’er xiao 十二樓 (6 contes), du Huzhong tian 壺中天 (2 contes) et les quatre récits du Zhaoshi bei 照世杯 traduits voici vingt ans déjà par Rainier Lanselle (Le cheval de Jade, Picquier Poche, 1999). Nul doute que cette pierre supplémentaire posée à l’édifice que représente ce long travail de patience comblera à nouveau chercheurs, traducteurs, étudiants et amateurs de littérature chinoise ancienne, ainsi que tous les curieux de la société chinoise des XVIème et XVIIème siècles. (S.C.)

vendredi 15 juin 2007

Traducteurs « à quatre mains » à Nijni-Novgorod

« En homme qui ne craint ni le froid ni la neige, Michel Strogoff eût préféré voyager par la rude saison d’hiver, qui permet d’organiser le traînage sur toute l’étendue du parcours. Alors les difficultés inhérentes aux divers genres de locomotion sont en partie diminuées sur ces immenses steppes nivelées par la neige. Plus de cours d’eau à franchir. Partout la nappe glacée sur laquelle le traîneau glisse facilement et rapidement. Peut-être certains phénomènes naturels sont-ils à redouter, à cette époque, tels que permanence et intensité des brouillards, froids excessifs, chasse-neige longs et redoutables, dont les tourbillons enveloppent quelquefois et font périr des caravanes entières. Il arrive bien aussi que des loups, poussés par la faim, couvrent la plaine par milliers. Mais mieux eût valu courir ces risques, car, avec ce dur hiver, les envahisseurs tartares se fussent de préférence cantonnés dans les villes, leurs maraudeurs n’auraient pas couru la steppe, tout mouvement de troupes eût été impraticable, et Michel Strogoff eût plus facilement passé. Mais il n’avait à choisir ni son temps ni son heure. Quelles que fussent les circonstances, il devait les accepter et partir. »
(Jules Verne, Michel Strogoff,
première partie, chapitre IV,
« De Moscou à Nijni-Novgorod ».)
Nous étions quatre traducteurs aixois invités à Nijni-Novgorod à une table ronde sur le thème « La traduction des œuvres littéraires », et nous sommes tout simplement arrivés de Marseille par l’avion de Moscou via Bruxelles. Nous avions du mal à imaginer la Volga devenue une « nappe glacée » et les « brouillards » de l’hiver russe : il faisait une chaleur exceptionnelle en ce mois de mai ensoleillé, qui ne laissait pas de surprendre les habitants de la troisième ville de Russie (appelée Gorki de 1932 à 1990 en l’honneur de l’écrivain qui y est né). Point de loups non plus, encore moins de tartares ou de maraudeurs courant la steppe… Nous avons reçu un accueil très chaleureux de nos hôtes russes, à l’occasion de la manifestation « Printemps de Provence à Nijni-Novgorod », organisée du 16 au 20 mai par l’Institut d’échanges culturels Gorki à l’initiative de Kira Peshkova, lectrice de russe au Département d’études slaves de l’université de Provence. Mettre en rapport des universitaires, des chercheurs, des créateurs et des responsables culturels avec leurs partenaires russes, telle est l’intention de ce programme où nous étions conviés, en qualité de « traducteurs à quatre mains », et de surcroît « traducteurs de Nobel » : Natalia et Charles Zaremba (professeur de linguistique slave, directeur du département d’études slaves de l’université de Provence), traducteurs de Kertész Imre, prix Nobel de littérature 2002, et de plusieurs auteurs hongrois : Szerb Antal, Krúdy Gyula, Márai Sándor, Örkény István, Darvasi László, Bartis Attila ; et nous [Liliane & Noël Dutrait], traducteurs de Gao Xingjian, prix Nobel de littérature 2000, ainsi que de A Cheng, Han Shaogong, Su Tong, Mo Yan

À l’Université linguistique Dobrolioubov, devant un public d’étudiants et d’enseignants qui parlaient un français remarquable, Natalia Zaremba a mis à profit sa grande proximité avec le monde de l’édition et de la librairie pour dresser un état des lieux de l’édition des traductions de littérature étrangère en France, et notamment de littérature hongroise. Charles Zaremba intervenait ensuite sur le thème : « Le temps grammaticaux dans une perspective de traduction littéraire du hongrois en français ». Les temps grammaticaux ou l’ordre des syntagmes et des mots en hongrois posent d’importants problèmes de traduction en français où l’emploi d’un temps grammatical donné fait souvent suite à une interprétation, tant linguistique que littéraire du texte original. C’est particulièrement à cette étape d’interprétation du texte, de détermination des niveaux de narration et de langue, que le travail « à quatre mains » se révèle fructueux.

De notre côté, nous avons exposé les choix que nous faisons face aux problèmes liés à la traduction des œuvres de littéraire chinoise contemporaine : mots ou expressions recouvrant des notions inconnues en France ; noms de personnes et toponymes ; proverbes, chansons ou comptines ; allusions historiques ou politiques ; particularités dialectacles ; expressions en quatre caractères ; onomatopées, etc., et aussi la question des temps, sans doute la plus délicate, puisque le temps n’est pas exprimé par la forme verbale.

Ce séjour ne pouvait se faire sans une visite au musée Gorki/musée de la littérature, et dans l’une des maisons où le jeune Alexis Maximovitch Pechkov, dit Gorki, passa une partie de son enfance entre un grand-père violent, une grand-mère aimante et une mère absente.

De retour à Aix-en-Provence, relisant Enfance de Gorki dans la traduction « historique » de Davydoff et Pauliat en 1959 (la première lecture remontait à notre adolescence…), nous y avons retrouvé bien des traits communs avec Mo Yan, et notamment un amour des comparaisons qui demande au traducteur de recourir à diverses « astuces » pour éviter les répétitions lourdes en français tout en demeurant fidèle à la phrase originale ! En témoignent ces extraits, chez Gorki :
« […] Au milieu de la cuisine, Tsynagov tourbillonnait telle une flamme ou planait comme un milan. Ses bras étendus ressemblaient à des ailes et on voyait à peine ses jambes se déplacer. Soudain il s’accroupissait en poussant un grand cri et tournoyait comme un martinet doré. Sa blouse éclatante illuminait tout autour de lui et la soie qui frémissait et ruisselait, semblait de l’or en fusion. […] » (Le Livre de poche, 1964, chapitre III, p. 76.)
… et chez Mo Yan :
« Des membres de l’équipe de ramassage des cadavres, munis de crochets en fer, s’approchèrent. Ils allaient accrocher le corps de Shangguan Lüshi quand elle se redressa lentement, telle une vieille tortue. Le soleil éclairait son gros visage enflé qui ressemblait à la fois à un citron et à un gâteau de Nouvel An. Elle sourit froidement, puis s’assit en appuyant son dos contre le mur. On eût dit une petite colline pleine d’aplomb. » (Mo Yan, Beaux seins belles fesses, Seuil, chapitre 10, p. 79.)
« De l’avis des villageois, le vieux taoïste Men était un lettré de grande vertu, mi-homme mi-immortel. On ne savait d’où il venait, il marchait d’un pas léger, sa tête était lisse comme une ampoule, sa barbe blanche fournie comme un buisson. Ses lèvres ressemblaient à celles d’un ânon et ses dents lançaient des éclats de perle. Il avait le nez et le visage rouge, et ses sourcils blancs étaient aussi longs que des ailes d’oiseau. […] » (Mo Yan, Beaux seins belles fesses, Seuil, chapitre 28, p. 408.)
qui, de ces comparaisons, fait parfois même un jeu :
« La partie de la tête qui n’avait pas été pulvérisée était tombée sur le rebord du deuxième plateau de la table du banquet, telle une pastèque creuse, ou pastèque telle une tête creuse, entre un plat d’holothuries et de crevettes sautées à la sauce de soja, un liquide s’en écoulait goutte à goutte, jus de pastèque comme du sang ou sang comme du jus de pastèque, qui salissait la nappe et polluait les yeux des spectateurs. Ses yeux, semblables à des grains de raisin, ou ses grains de raisin semblables à des yeux, avaient roulé à terre, l’un derrière l’armoire à alcools, l’autre sous les pieds d’une jeune fille en rouge qui l’écrasa. Elle eut un sursaut de tout son corps et poussa un cri strident : “Ouah !” » (Mo Yan, Le Pays de l’alcool, Points Seuil, chapitre 1, p. 113.)
(Liliane Dutrait)



Illustrations : Haut - Nijni-Novgorod au début du XXème siècle, source : Russia, As Seen and Described by Famous Writers. Edited and Translated by Esther Singleton. New York, Dodd, Mead and Company, 1909 (voir ici ou ici). Bas : cliché Liliane/Noël Dutrait.

jeudi 14 juin 2007

Yazhou zhoukan

La bibliothèque de l’équipe
propose à ses lecteurs la revue
Yazhou zhoukan
亞洲週刊
(The International Chinese Newsweekly),
seule revue hebdomadaire internationale
publiée en langue chinoise à Hong-Kong depuis 1987.
(Yazhou zhoukan sur Wikipedia : ici)

Revue complète et résolument dans l’air du temps, Yazhou zhoukan offre un aperçu de la situation économique en Chine, en Asie et dans le monde ainsi qu’un panorama de l’actualité internationale, semaine après semaine. Elle suit les événements majeurs qui ébranlent le monde, l’actualité politique, les relations diplomatiques entre la Chine et les grandes puissances, bien souvent la Russie et les Etats-Unis, avec un intérêt marqué pour les relations entre les deux Chine, continentale et nationaliste.

Les numéros disponibles au bureau B067 couvrent la période de janvier 2005 à janvier 2007, soit en tout une centaine d’exemplaires. Sur près de deux ans, c’est donc tout notre présent - aussitôt passé - qui défile au rythme des numéros : le tsunami dévastateur de décembre 2004 et son lourd bilan, les essais nucléaires nord-coréens, le décès du Pape Jean-Paul II en avril 2005, la crise entre la Chine et le Japon au printemps 2005, le « non » au référendum sur la constitution européenne en mai 2005, la crise du CPE en 2006, etc. Yazhou zhoukan peut donc se feuilleter à la manière d’un journal, son intérêt principal pour un sinisant étant de lui permettre de « lire le monde » tel qu’il est vu, ressenti et interprété par un public chinois.

Néanmoins, Yazhou zhoukan ne se restreint pas à l’actualité politique. Se voulant ancrée dans la réalité, la revue propose également à l’intérieur de ses soixante pages diverses rubriques touche à tout : économique et financière (avec la situation de la bourse, des marchés en Asie ou bien le palmarès des banques), sociologique (portraits de vie) et enfin culturelle, avec le résumé des grands événements qui rythment la vie des Chinois (nouvel an, etc.), les rendez-vous à ne pas manquer (de la représentation de la Neige en août de Gao Xingjian en janvier 2005 à l’Opéra de Marseille à la sortie du film de Zhang Yimou, La Cité interdite), les écrivains chinois du moment - entre autres Gao Xingjian, Su Tong, Yu Hua, Jia Pingwa, Mo Yan -, les dernières parutions en librairie et divers articles sur la vie littéraire - voir par exemple l'état de la censure littéraire en Chine en 2006 dans le numéro du 04/02/2007. C’est bien sûr dans ces quelques pages proposant résumés, critiques, photos et interviews que les amateurs de culture et de littérature chinoises trouveront leur bonheur. La confrontation de plusieurs univers, et tout particulièrement des domaines politique et littéraire, ouvre de nouvelles perspectives, recentre les débats, et fait resurgir les questions récurrentes sur les problèmes de réalité et fiction, passé et présent, vécu et rendu, actuel et intemporel.

On pourra conseiller quelques articles : la traduction inédite en français du wuxia xiaoshuo de Jin Yong, Le héros chasseur d’aigles (numéro du 02/01/2005), l’écrivain Ha Jin et son livre Dengdai (Waiting) (09/01/2005), divers articles sur Gao Xingjian (16/01/2005, 20/02/2005, 03/04/2005, 27/11/2005 et 03/12/2006), le livre Servir le peuple de Yan Lianke (13/03/2005) - que le lecteur trouvera à la bibliothèque de l’équipe en versions chinoise et française -, Zhang Ailing (04/09/2005 et 06/11/2005), le roman Xiongdi (Brothers) de Yu Hua (18/12/2005 et 23/04/2006), le romancier et poète Bei Dao (15/01/2006), les dix livres majeurs recommandés par la revue sortis en 2005 (19/02/2006) et ceux de 2006 (28/01/2007), l’écrivain Lin Yutang (09/04/2006), les critiques et annotations du Honglou meng (09/04/2006, 23/04/2006 et 30/04/2006), Mo Yan et son Shengsi pilao (21/05/2006), ou encore une édition spéciale sur la littérature dans le numéro du 06/08/2006.

La revue met en ligne son contenu sur son site (ici) : les articles ne sont pas toujours disponibles ni présentés dans leur intégralité et sans leur iconographie.

Une bonne nouvelle pour finir : le lecteur pourra trouver dans un fichier Filemaker qui sera prochainement mis en ligne sur le site de l'équipe tous les numéros disponibles au bureau, rangés par date de parution, avec pour chacun d’entre eux la table des matières et le cas échéant une note sur les articles consacrés à la littérature et à la traduction. Bonne lecture à tous, et bon voyage dans l’univers politique et culturel chinois et international de ces deux dernières années ! (S.C.)

mercredi 13 juin 2007

Falling in Love


Malgré
son titre un rien désuet,

Falling in Love
mérite d'être signalé
pour au moins trois bonnes raisons : c'est un excellent
ouvrage, il s'agit d'une succulente traduction du chinois et notre
équipe vient de l'acquérir, ce qui veut dire qu'il est consultable dans
notre bureau (B067) et que les amateurs de contes chinois anciens
pourront bientôt l'emprunter pour s'en délecter.


On le doit à Patrick Hanan (1927-) qui est un des grands spécialistes américains du roman chinois ancien en langue vulgaire et un de ceux qui, avec André Lévy en France, ont le mieux rendu compte du genre court - le huaben 話本 et ses dérivés - à travers des ouvrages d'érudition tels que The Chinese Vernacular Story (Harvard U.P., 1981) et The Chinese Short Story, Studies in dating, Authorship and Composition (Harvard U.P., 1973). Patrick Hanan est aussi un des plus ardents défenseurs de Li Yu 李漁 (1611-1680) et de son œuvre. Il a non seulement donné une magistrale et très plaisante monographie sur cet auteur [The Invention of Li Yu, Harvard U.P., 1988], mais également traduit le meilleur de ses xiaoshuo. En plus d'extraits substantiels des Wushengxi 無聲戲 [Silent Operas. The University of Hong Kong, « Renditions Paperbaks », 1990] et des Shi'er lou 十二樓 [A Tower for the Summer Heat. New York : Ballantine Books, 1992], il a livré la meilleure traduction actuelle du Rouputuan 肉蒲團 [The Carnal Prayer Mat. New York : Ballantine Books, 1990 & Honolulu : University of Hawai’i Press, 1996].
(Voir ici)

Ces dernières années Patrick Hanan, qui a été récemment honoré par ses amis et disciples [Judith T. Zeitlin & Lydia H. Liu (eds.), Writing and Materiality in China: Essays in Honor of Patrick Hanan. Harvard U.P., 2003], avait délaissé le XVIIème siècle pour se pencher toujours avec le même bonheur et la même rigueur sur des romans « fin-de-siècle », en traduction d'abord [voir The Sea of Regret : Two Turn-of-the-Century Chinese Romantic Novels (1995) et Chen Diexian (1879-1940), The Money Demon (1999) tous deux publiés à Honolulu aux University of Hawai'i Press], puis à travers une monographie remarquée intitulée Chinese Fiction of the Nineteenth and early Twentieth Centuries (Columbia U.P., 2004).

Le voici de retour sur ses terres de prédilection avec une petite anthologie de traductions de son cru : Falling in Love. Stories from Ming China. Honolulu, University of Hawai'i Press, 2006. xviii + 257 p. Elle réunit sept histoires d'amour tirées de deux collections majeures de la fin des Ming, savoir deux recueils compilés vers 1627 par Feng Menglong 馮夢龍 (1574-1646). Il s'agit du Xingshi hengyan 醒世恆言 (Paroles éternelles pour éveiller le monde, S III) et du Shi dian tou 石點頭 (La pierre qui hoche la tête, D)

Si le premier recueil qui compte 40 récits a déjà fourni la matière de nombreuses traductions anciennes et récentes, il est, tout comme le second, de 14 récits seulement, inédit en traduction intégrale. Il figure sans doute au programme de Yang Shuhui qui a déjà traduit les deux premiers volumes de la fameuse série que Feng Menglong publia entre 1620 et 1628, et qui est connue sous le nom de San yan 三言 (Les trois paroles) [Ces deux ouvrages sont sortis aux University of Washington Press : (2000) et Stories Old and New: A Ming Dynasty CollectionStories to Caution the World: A Ming Dynasty Collection (2005)]. Shi dian tou attendra sans doute encore un peu.

Pour ce qui est des sept récits choisis par Patrick Hanan, ils ne sont pas inconnus des spécialistes. Ils ont notamment fait l'objet d'une recension dans l'Inventaire analytique et critique du conte chinois en langue vulgaire. [André Lévy & al., Collège de France / IHEC : voir le tome 2 (1979) pour S III et le tome 4 (1991) pour D]. Certains d'entre eux ont même été traduits souvent, et avec plus ou moins de bonheur, depuis la fin du XIXème siècle en japonais, bien entendu, en anglais et en français (notamment par Soulié de Morant dans ses Contes Galants de la Chine (Paris, 1921) ou ses Trois contes chinois du XVIIème siècle (Paris, 1926).

Voici donc le détail du contenu de la nouvelle contribution de Patrick Hanan à la connaissance d'un genre qui a produit sur à peine plus d'un siècle une bonne cinquantaine de recueils de taille et de qualité diverses, livrant à l'amoureux des lettres chinoises pas moins d'un demi millier de contes subsistants.

  1. « Shenxian » [S III 14 – « La sépulture violée », tome 2, pp. 632-637] : « Written much earlier than the others, probably as early as the fourteenth century » (PH, p. xiii), le récit met en scène « deux jeunes gens [qui] tombent amoureux l'un de l'autre. Le père de la jeune fille s'oppose au mariage. De désespoir, elle meurt ; on l'enterre. Un voleur pille sa tombe et viole le cadavre, ce qui la « réveille ». Après deux mois de captivité chez le voleur, elle s'échappe et se rend chez son fiancé. Celui-ci la prend pour un fantôme. Terrifié, il lui jette un seau à la tête, la tuant pour de bon. Elle revient le voir trois fois en rêve. Le violateur de sépulture est retrouvé et puni. » [Robert Ruhlmann, IACCCLV]
  2. « The Oil Seller » [S III 3 – tome 2, pp. 580-586]. De loin le conte le plus connu et le plus traduit du Jingu qiguan 今古奇觀 dont Rainier Lanselle a donné une traduction intégrale intitulée Spectacles curieux d’aujourd’hui et d’autrefois (Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1996, pp. 201-279). Il y apparaît sous le titre : « Le marchand d'huile conquiert seul la Reine des Fleurs ».
  3. « Marriage Destinies Rearranged » [S III 8 – « Le mariage interverti », tome 2, pp. 604-607]. 28ème récit du Jingu qiguan, il a été traduit par Rainier Lanselle sous le titre « Le préfet Qiao remanie à sa façon le registre des canards mandarins » (pp. 172-1225), il conduit un père, Liu Bingyi, à dissimuler « la gravité de la maladie de son fils pour que son mariage ait lieu ; il lui substitue sa fille. Méfiante, la mère de la fiancée envoie à sa place son fils déguisé qui séduit la fille de Liu. Grâce au préfet Qiao, les mariages ont lieu, mais avec des partenaires différents. » [Martine Valette-Hémery, IACCCLV]
  4. « The Rainbow Slippers » [S III 16 – « Les chaussons brodés », tome 2, pp. 644-649]. « Usant d'un subterfuge un garçon boucher s'introduit la nuit chez une jeune fille en se faisant passer pour son galant. Un soir, il tue par erreur les parents de la belle et laisse accuser son rival. La vérité est rétablie après enquête. » [Michel Cartier, IACCCLV]
  5. « Wu Yan » [S III 28 – « Le rendez-vous d'amour en bateau », tome 2, pp. 728-734]. Ici la passion amoureuse trouve son point de départ dans une « rencontre en bateau de deux familles de hauts fonctionnaires, dont les enfants uniques sont aussi beaux que talentueux et de sexe opposé ». [André Lévy, IACCCLV]
  6. « The Reckless Scholar » [D 5 – « L'enlèvement puni », tome 4, pp. 17-19]. Dans ce conte, « un jeune licencié séduit puis enlève la fille d'un mandarin. Trois ans plus tard, reçu au doctorat, il se présente en compagnie de sa « femme » devant son « beau-père » pour lui demander pardon. mais celui-ci refuse. Quelques années plus tard, un mal étrange vient châtier le séducteur pour ses actions passées ». [Wan Chuan-ye, IACCCLV]
  7. « The Lover's Tombs » [D 14 – « Les deux amis », tome 4, pp. 56-59]. Cette histoire d'amour homosexuel a longtemps été censurée en Chine. Ce n'est plus le cas maintenant. Elle ne livre pourtant aucun développement graveleux, mais dresse un tableau touchant de la fidélité amoureuse : « Deux jeunes étudiants tombent amoureux, succombent et se retirent dans la montagne pour couler des jours heureux jusqu'à ce que leurs fiancées viennent les rejoindre : ils meurent, elles se suicident. » [Jacques Dars, IACCCLV]
Les traductions fines et précises que Patrick Hanan donne de ces récits judicieusement sélectionnés sont complétées en appendice par la traduction des sources classiques de deux des sept contes. Il s'agit de « Zhang Jin » 張藎 (source de 4, pp. 249-252) et « The Provincial Graduate » « Mo Juren » 莫舉人 (source de 6, pp. 252-254) qui proviennent d'un recueil d'anecdotes publié par Feng Menglong sous le titre de Qing shi leilüe 情史類略 : saluons cette initiative intéressante pour tout lecteur qui a enfin l'opportunité de sentir la distance qui existe entre la narration en langue classique, plus allusive et courte, de la fiction en langue vulgaire qui sait faire évoluer les motifs narratifs et donne corps à une intrigue souvent ténue.

Patrick Hanan a, me semble-t-il, une nouvelle fois trouvé le bon équilibre entre le travail sinologique de qualité utile pour les spécialistes et la vulgarisation à destination des lecteurs curieux de la Chine et de son abondante littérature. C’est ainsi que ses notes parviennent à satisfaire les premiers qui ne peuvent se plaindre que de l'absence des caractères chinois, sans réduire le plaisir de la découverte des seconds. On n'a donc qu'un seul reproche à formuler à l'encontre de ce livre qui réserve de bons moments, celui d'être ... en anglais. (P.K.)

mardi 12 juin 2007

Appel à communication


Traduire les littératures d’Inde et d’Extrême-Orient

Vendredi 26 octobre 2007
Université de Provence

Journée d’étude organisée par
la Jeune Equipe « Littérature chinoise et traduction »



Appel à communication

L’équipe de recherche « Littérature chinoise et traduction » se propose d’organiser une journée d’études au sujet de la traduction des littératures d’Inde et d’Extrême-Orient.

Il sera demandé à chaque intervenant de présenter un texte d’une page environ dans la langue dont il est traducteur et de montrer comment il a su surmonter les difficultés qu’il présentait et quels ont été ses choix de traduction. Pour faciliter la compréhension des participants, il sera indispensable que le texte soit présenté dans sa langue originale, accompagné d’une transcription latine et éventuellement d’un mot à mot.

Le but de cette journée est de montrer comment les difficultés dans la traduction des langues extrême-orientales et indiennes peuvent être résolues sans aller jusqu’à la trahison du texte d’origine ou au moins à son édulcoration.

Une traduction définitive de chaque texte sera présentée en conclusion. Les communications seront publiées en ligne sur le site de l’équipe.

Les propositions de communication devront être envoyées avant le 15 septembre 2007. Elles seront soumises au comité scientifique du colloque qui décidera de leur acceptation.

Contact : Noël Dutrait, Noel.Dutrait@univ-provence.fr