vendredi 12 octobre 2007

Réponse à la devinette (007)

La réponse à la septième devinette va me donner l'occasion de signaler un ensemble de livres qui rendent enfin justice à l'œuvre de Judith Gautier (1845-1917) qui était, Françoise P, L[iliane] D[utrait] l'avaient, entre autres, deviné, l'auteur du passage retenu. Ce n'était évidemment pas si facile que cela à trouver, j'en conviens, alors, bravo ! Mesdames.


La renaissance de Judith Gautier.

Son œuvre est, on doit le reconnaître, tombée dans un quasi-oubli ; sa vie et son parcours, à peine moins, et ceci malgré pas moins d'une demi-douzaine d'ouvrages qui ont fait revivre celle dont le poète, romancier, peintre et critique d'art Théophile Gautier (1811-1872), son père, a - ou aurait - dit : « C'est le plus parfait de mes poèmes ». Mais que cela soit la thèse de Mathilde Dito Camacho soutenue en 1939 (« Judith Gautier : sa vie et son œuvre »), Quinze ans auprès de Judith Gautier de Suzanne Meyer-Zundel (Porto, 1969), Théophile et Judith vont en Orient de Denise Brahimi (Paris, 1990), Judith Gautier de Joanna Richardson (Traduit par Sara Oudin, Paris 1989) ou La vie de Judith Gautier : égérie de Victor Hugo et de Richard Wagner d'Anne Danclos (Paris, 1990, 1996), les livres qui nous parlent d'elles sont soit épuisés, soit difficilement trouvables.

On doit donc se réjouir de la parution toute récente de Judith Gautier : une intellectuelle française libertaire, 1845-1917, traduction française par Daniel Cohen de Judith Gautier: Writer, Orientalist, Musicologist, Feminist (Hamilton Books, 2004). Cet ouvrage de Bettina Liebowitz Knapp qui vient de sortir à L'Harmattan (Collection, « Espaces littéraires », 420 pages) est présenté sous un jour très engageant (ici) :
« La légende est solide : elle retient de Judith Gautier sa beauté et ses amours ; s'il ne s'était agi que de Catulle Mendès, la postérité aurait oublié. Mais Victor Hugo et Wagner, deux géants, l'ont associée, au moins par ricochet, à leur épopée. Fille de Théophile Gautier, l'un des écrivains les plus éblouissants du 19e siècle, elle a de qui tenir quand, blessée dans son orgueil par le priapique Mendès, elle se réfugie dans l'écriture. Elle offre une série inoubliable de titres qui établirent sa renommée. S'éteignant, un soir d'hiver, pendant la Première Guerre mondiale, elle passe pour l'une des femmes les plus libres ; cette liberté elle l'a acquise grâce à une intelligence célébrée par les plus exigeants, grâce aussi à ses combats ; en une époque où le style avait un sens, ses ouvrages paraissent aujourd'hui comme autant de bijoux rares. Notre millénaire bruissant de désirs « multiculturels » vrais ou prétendus, elle est, il y a plus de cent vingt ans, la romancière audacieuse qui ose interroger les mythes de peuples lointains : ils occupent, de nos jours, une place prépondérante : l'Inde, le Japon, la Chine, l'Iran... Sur cette femme somptueuse et qui, par un rare don de précurseur, a su allier art et pensée, il manquait une biographie qui mettrait en parallèle la vie et l'oeuvre. Bettina L. Knapp s'en acquitte avec maestria. »
Voilà qui devrait encourager à lire Judith Gautier dans le texte, mais comment faire ? Qui ne voudra pas abandonner ses économies aux bouquinistes, devra se diriger vers une bibliothèque ou, sans même sortir, pointer sa souris en direction de Gallica, le site de la Bibliothèque Nationale de France qui propose pas moins de onze de la trentaine de titres qu'elle a signés, seule ou en tandem : La conquête du paradis ; La fille du ciel : drame chinois (composé avec Pierre Loti, 1850-1923) ; La soeur du soleil : l'usurpateur ; Le collier des jours : le second rang du collier, souvenirs littéraires ; Le collier des jours : souvenirs de ma vie ; Les musiques bizarres à l'Exposition de 1900 ; Les peuples étranges ; Les princesses d'amour (courtisanes japonaises) et Lucienne y sont proposés en mode image et téléchargeables en format pdf à volonté et gracieusement.

Les fortunés amateurs de beaux livres, quant à eux, seront heureux d'apprendre qu'à Tôkyô, on se soucie aussi de l'œuvre de Judith Gautier et qu'on en publie le meilleur dans une belle édition aussi difficile à acquérir, qu'onéreuse [¥128,000, soit à peu près 850 €] :

Le Japon et la Chine dans les œuvres de Judith Gautier ジュディット・ゴーチエ-日本・中国趣味著作集, choisis et avec une introduction de Brigitte Koyama-Richard 小山ブリジット[professeur en la littérature comparée et en histoire de l'art à l'université Musashi 武蔵大学 de Tôkyô et qui a déjà publié plusieurs ouvrages sur le Japon dont Japon rêvé : Edmond de Goncourt et Hayashi Tadamasa (Hermann, 2001)] (Edition Synapse, 2007) soit 2800 pages en 5 volumes plus un volume supplémentaire de 130 pages proposant les Poèmes de la libellule 蜻蛉集, traduits du japonais d'après la version littérale de M. Saionzi, illustrés par Yamamoto. Paris: Gillot, 1884.

Voici le détail de cet ensemble de fac-similés d'éditions originales ou anciennes :
  1. « Introduction » de Brigitte Koyama-Richard ; Le dragon imperial : Roman chinois (1869) [Colin, 1900 ; Aventures de Momotaro: Très ancienne légende japonaise, traduction et adaptation de Judith Gautier, illustrations du peintre japonais R. Isayama. [Falières]
  2. La sœur du soleil (L'usurpateur) (1875) [Dentu & Cie., 1887] ; La marchande de sourires [G. Charpentier et Cie., 1888]
  3. Fleurs d'orient [Colin, 1893] ; La Musique japonaise à l'exposition de 1900 [Paul Ollendorff, 1900] ; Les princesses d'amour [Société d'éditions littéraires et artistiques, 1900]
  4. Le paravent de soie et d'or [Charpentier et Fasquelle, 1904] ; La fille du ciel (avec Pierre Loti) [Calmann-Levy, 1911]
  5. Le Japon (Merveilleuses histoires) [Les Arts Graphiques, 1912] ; En Chine (Merveilleuses histoires) [Les Arts Graphiques, 1912] ; Les parfums de la pagode [Charpentier et Fasquelle, 1919]
Avant d'en revenir à nos moutons - la devinette -, je voudrais juste signaler que l'auteur du Livre de Jade, joliment réédité à l'Imprimerie Nationale (collection « La salamandre », 2004, 227 pages), a été la vedette d’Une vie, une œuvre sur France Culture. De la diffusion du 15 avril 2007, il ne subsiste qu'une page de présentation agrémentée d’une riche bibliographie et de liens internet utiles (c’est ici). Quant au portrait qui illustre ce billet, il s'agit d'un détail d'un document qui prouve que Judith Gautier savait écrire le chinois. On peut le consulter ici ou encore .


On le voit sur cette dernière illustration, l'ouvrage que j'ai utilisé pour vous faire cogiter (grâce à Gallica, ici), En Chine, parut en 1911 aux Editions des Arts Graphiques (Vincennes). C'est un des volumes de la collection « Les beaux voyages », dont Judith Gautier signa, la même année un volume sur Le Japon. Chacun des volumes reçoit, entre parenthèses, un sous-titre qui a valeur de programme, « Merveilleuses histoires », et un jeu d'une douzaine d'illustrations en couleur, plus une carte.

Comme le souligne l'Académicien Jean Aicard (1848-1921) dans sa préface, Judith Gautier de l'Académie Goncourt, (de 1910 jusqu'à sa mort) est la personne la mieux à même de présenter ces lointaines contrées :
« Personne ne pouvait mieux qu'elle parler de cette Chine « qui a inventé tout ou presque tout, à une époque des plus reculés ». ... [Elle] nous parlera des mœurs, des usages, de la poésie de ce pays où une justice extraordinaire, qui paraît se complaire à inventer les supplices les plus hideux, permet aux criminels les plus redoutables, lorsqu'ils sont condamnés à mort, de s'acheter un remplaçant parmi les citoyens pauvres et honnêtes. »
Je vous laisse découvrir la suite de ce texte liminaire qui finit dans une envolée patriotique des plus déplacées en regard du sujet traité - « C'est encore en France qu'on est le plus libre, et le moins malheureux » -, et lire ce volume par bribes ou dans son ensemble : il restitue l'image que l'on se faisait de la Chine en ce début de siècle, image dessinée par quelqu'un de relativement bien informé, mais qui ne s'est rendu en Chine que par procuration. Les carences de son information tiennent sûrement aux limites de la connaissance sinologique de son temps, mais aussi à celles de son informateur principal, un ancien mandarin chinois, « réfugié politique en France ». Il n'empêche que ces synthèses possèdent le charme de l'approximation datée dans une formulation délicieusement surannée et puis, de temps en temps, des avis bien pesés, comme ici à la fin de l’exposé sur « L’instruction et les Grands Examens » : « Aujourd'hui d'ailleurs, tout va changer, tout change dans cette Chine que les convoitises du monde ont enfin éveillée de son long sommeil. » (voir p. 33 ou ici)



Les Quatre Livres dans une édition de 1886.

Le nez contre le mur !

Si l'auteur du passage était difficile à trouver, le texte qu’elle utilisait était, lui, facile à identifier comme le treizième paragraphe du seizième chapitre du Lunyu 論語, Les Entretiens de Confucius [XVI.13] que voici :
陳亢問於伯魚曰。子亦有異聞乎。 對曰。未也。嘗獨立。鯉趨而過庭。曰。學詩乎。對曰。未也。不學詩。無以言。鯉退而學詩。他日。又獨立。鯉趨而過庭。曰。學禮乎。對曰。未也。不學禮。無以立。鯉退而學禮。聞斯二者。陳亢退而喜曰。問一得三。聞詩。聞禮。又聞君子遠其子也。
Le début du chapitre V (« La poésie », p. 42) de ce En Chine n'en est manifestement pas une traduction, mais plutôt un avatar malheureux, car il fait du fils de Confucius un enfant rebelle, ce que Boyu 伯魚 ne devait pas être. Judith Gautier et ses contemporains disposaient pourtant de plusieurs traductions partielles ou complètes dont deux plus ou moins récentes et honorables : celle déjà ancienne de Guillaume Pauthier (Charpentier, 1845) et la toute nouvelle que Séraphin Couvreur (1835-1919) venait de livrer en 1896 [disponible en ligne grâce à Pierre Palpant, ici]. Voici le passage dans cette traduction qui a fait autorité :
Tch’enn Kang demanda à Pe iu [Fils de Confucius, aussi nommé Li] si son père lui avait donné des enseignements particuliers qu’il ne communiquait pas à ses disciples. Pe iu répondit : — Aucun jusqu’à présent. Un jour qu’il se trouvait seul, comme je traversais la salle d’un pas rapide, il me dit : Avez-vous étudié le Cheu king ? Pas encore, lui dis-je. Si vous n’étudiez le Cheu king, me répondit-il, vous n’aurez pas de sujets de conversation. « Je me retirai et me mis à étudier le Cheu king. Un autre jour qu’il était encore seul, comme je traversais la salle d’un pas rapide, il me dit : Avez-vous étudié le Li ki ? Pas encore, lui répondis-je. Si vous n’étudiez pas le Li ki, dit-il, votre vertu n’aura pas de fondement solide. « Je me retirai et me mis à étudier le Livre des Devoirs. Voilà les deux enseignements que j’ai reçus. Tch’enn Kang se retira satisfait et dit : — J’ai demandé une chose, et j’en ai appris trois ; dont l’une concerne le Cheu king, l’autre concerne le Livre des Devoirs ; et la troisième, c’est que le sage ne donne pas d’enseignements secrets et particuliers à son fils.
Souvent rééditée, parfois dans des versions revues comme celle des Editions Mille et une nuits [n° 156, 2002, sld. Muriel Baryosher-Chemouny], cette traduction a été depuis rejointe par pas moins de trois traductions intégrales de poids. Voici comment le même passage y est traduit [je respecte autant que possible leurs choix de présentation et intègre les notes entre crochets] :
1. Ziqin demande à Boyu [Fils de Confucius] : Votre père ne vous-a-t-il pas enseigné autre chose qu'à nous, disciples ?
Boyu : Pas du tout. Un jour qu'il était seul et que traversais la cour en pressant le pas [En signe de respect], il me demanda si j'avais étudié les Odes. Je lui répondis que non. Il me dit alors : « Comment peut-il seulement parler, celui qui ne les a pas étudiées ? » Je me retirai et me mis à l'étude des Odes.
Un autre jour qu'il était seul et que je traversais la cour, il me demanda si j'avais étudié les rites. Je répondis : « Pas encore. » Il me dit : « Qui ne les a pas étudiés ne s'aurait s'affirmer [A la fois dans ses convictions et dans la société]. » Je me retirai et me mis incontinent à l'étude des rites. Ces deux choses sont tout son enseignement. A sa sortie, Ziqin dit, tout content : J'ai demandé une chose, et j'en ai appris trois. On m'a parlé des odes, des rites, et de la juste distance que l'homme de bien doit maintenir avec son fils [Distance rituelle qui l'empêche de montrer plus d'égards à son fils qu'à ses disciples].

Traduction d'Anne Cheng : Entretiens de Confucius. Paris : Seuil, collection « Points/Sagesses », 1981, p. 132.

2. Chen Ziqin demanda au fils de Confucius : « Votre père vous a-t-il donné desenseignements particuliers ? » L’autre répondit : « Non. Une fois comme il se tenait seul et que je traversais discrètement la cour, il me dit : “As-tu étudié les Poèmes ?” je répondis : “Non. - Si tu n’étudies pas les Poèmes, tu ne sauras jamais t’exprimer.” je me retirai et j’étudiai les Poèmes. Un autre jour, comme il était de nouveau seul et que je traversais discrètement la cour, il me dit : “As-tu étudié le rituel ?” Je répondis : “Non. - Si tu n’étudies pas le rituel, tu ne sauras jamais te tenir.” Je me retirai et j’étudiai le rituel. Tels sont les deux enseignements qu’il ma donnés. »
Chen Ziqin se retira et dit tout joyeux : « J’ai demandé une chose et j’en ai appris trois. J’ai appris quelque chose sur les Poèmes ; j’ai appris quelque chose sur le rituel ; et j’ai appris qu’un honnête homme garde ses distances avec son fils. »

Traduction de Pierre Ryckmans : Les Entretiens de Confuicus. Paris : Gallimard, (« Connaissance de l’Orient », 1987, p. 93) « Folio » n° 4145, 2004, p. 100-101.

3. Chen Kang demandait à Boyu, le fils de Confucius : « Tu as dû tout de même apprendre de ton père des choses différentes de celles qu’il nous enseigne ?
- Non. Une fois qu’il se tenait seul dans la cour que je traversais précipitamment, il m’a demandé si j’avais étudié les Poèmes. Je lui ai répondu : « Pas encore ». « Sans l’étude des Poèmes », m’a-t-il dit, « il te manquera de quoi t’exprimer. »
« Je me suis retiré pour me mettre au travail. Un autre jour où il se tenait seul cette fois encore, il m’a demandé, comme je passais en hâte à travers la cour, « As-tu travaillé les rituels ? » « Non, pas encore », ai-je répliqué. « Sans cette étude tu n’auras pas de quoi tenir ton rôle. »
« Je me suis donc retiré pour m’y appliquer. Ce sont les deux choses que j’ai apprises. »
Chen Kang repartit annoncer tout joyeux à ses condisciples : « Grâce à cette seule question, j’ai appris trois choses : une au sujet du Classique des poèmes, une autre concernant les rituels et j’ai appris en outre que l’homme de qualité tient à distance son fils. »

Traduction d'André Lévy : Confucius, Entretiens avec disciples. Paris, Flammarion, « GF » n° 799, 1994, p. 114.
Il y aurait beaucoup à dire sur les différences de traitement dans les quatre versions de ce passage qui fait un peu pièce rapportée : on peut, par exemple, toujours se demander si Kongzi fait référence à la ‘Poésie’ et aux ‘Rites’ ou seulement aux ouvrages sur la poésie et les rites à une époque où les livres canoniques auxquels on pensent aussitôt - Shijing 詩經 et Liji 禮記 - soit n'existent pas encore, soit n'ont pas encore pris la forme sous laquelle nous les connaissons aujourd'hui, savoir celle des deux Classiques que Couvreur traduisit en 1899, pour le second, Mémoires sur les bienséances et les cérémonies [voir ici et ] et, en 1896, pour le premier, qui est l'ouvrage de poésie par excellence de la Chine ancienne, le Shijing [voir ici]. A chacun de trancher selon son sentiment sans oublier qu'il y a un autre passage du Lunyu [XVII.8 ou XVII 9 & 10 selon les versions - pour le texte voir ici] dans lequel le grand sage s'adresse directement à ses disciples, et à nouveau à son fils, sur le même sujet :
« Mes enfants », dit le Maître, « pourquoi aucun de vous n'étudie les Poèmes ? Le Classique des poèmes apporte stimulation, observation, convivialité et défoulement. Au plus près, il vous aidera à servir votre père, au plus loin, à servir votre seigneur. Vous en saurez long sur le nom de oiseaux, plantes et animaux. »
S'adressant à son fils Boyu, le Maître dit : « As-tu travaillé le Zhou nan [周南] et le Shao nan [召南], les deux premiers livres des Poèmes ? Remplir son rôle d'homme sans les posséder, c'est se tenir le nez contre le mur ! » (A. Lévy (trad.), op.cit., p. 119) [Voir aussi P. Ryckmans (trad.), op.cit., p. 96 & A. Cheng (trad.), op.cit., p. 136]
Il n'en reste pas moins que l'attention portée par Confucius à la poésie doit être d'une nature bien différente de l'attachement passionnel que lui vouait Judith Gautier, traductrice de Li Bai 李白 et de bien d'autres grands poètes chinois, mais ceci est une autre histoire.

Pour conclure cette trop longue réponse à la devinette, je vous en propose une autre, une devinette n° 7 bis : de quels textes s'inspire Judith Gautier pour réaliser l'appendice d'En Chine, « Légendes et contes », qui contient deux courts récits intitulés « L'abeille bleue » et « La Griffre du Roi des Dragons » ? Mais, s'il vous plaît, pas de précipitation. (P.K.)

mercredi 10 octobre 2007

Avatars (001)

J'avais en préparation depuis quelques semaines un billet sur les adaptations en bande dessinée de quelques-uns des ouvrages majeurs de la littérature romanesque et dramatique de la Chine impériale, et nourri le projet de me procurer ces différents albums pour les évaluer. L’actualité théâtrale parisienne me conduit à changer mon plan en m’en tenant à l’un des grands romans chinois, le Xiyouji 西游記. En effet, il y a urgence.


Un Singe à Paris

Si j'en crois la presse, traditionnelle ou en ligne, et la radio (France Musique en l'occurrence) - et pourquoi la remettre en doute ?-, « Monkey : Journey to the West. Les aventures fantastiques du Roi Singe » qui est actuellement donné au Théâtre du Chatelet et ce jusqu'au 13 octobre (!), est l'événement marquant de la rentrée parisienne. Ce spectacle qui « marie l'opéra chinois et la ‘Brit Pop’ » mérite donc le détour.

Pour vous en convaincre, je vous renvoie du reste à l'article que lui a consacré
Pierre Haski sur Rue89.com, article dans lequel il nous dit tout ce qu'il convient de savoir sur le parcours de Chen Shizheng 陈士爭 (1963-), ce metteur en scène chinois qui a quitté la Chine voici 20 ans pour les USA et qu'on connaît en France pour avoir monté en 1999 un très long (19 heures en trois jours) et très esthétique Pavillon aux pivoines [Mudanting 牧丹亭], pièce de Tang Xianzu 湯顯祖 (1550-1617) qu'André Lévy avait traduite pour l'occasion, le tout dans le cadre du Festival d'automne.

Les chanceux qui pourront se rendre à Paris d'ici le 13 et obtenir les billets ad hoc, seraient bien inspirés de nous donner leur sentiment sur cette nouvelle adaptation scénique du roman fabuleux et fabuleux roman qu'André Lévy (encore lui) a traduit pour la « Bibliothèque de la Pléiade » sous le titre de La Pérégrination vers l'Ouest (Gallimard, 1991, 2 vols.). Il semblerait néanmoins que malgré toute l'attention portée à la réalisation de cet opéra d'un genre rare sinon véritablement nouveau, le spectateur éprouve de grandes difficultés à suivre Sun Wukong 孫悟空, alias Singet et ses compagnons de voyage. C'est notamment l'avis de Gilles Renault dans son compte-rendu publié dans le journal Libération du 4 octobre 2007 intitulé « Le Singe d'une nuit d'automne » :
« Très vite, on comprend qu’on ne comprendra pas grand-chose à ce récit philosophico-humoristico-initiatique, centré sur Sun Wukong, le Singe Conscient-de-la-Vacuité, qui, du Palais de cristal au Paradis, croisera le plus improbable des bestiaires, entre porcelet, poisson-volant, princesse-dragon et femme-araignée. Une fois qu’on a fait son deuil de l’intrigue, ... »
En effet, on reproche en général au metteur en scène d'avoir plus servi l'action scénique [voir ici] que l'histoire. Qu'importe diront ceux qui se presseront aux portes du Chatelet, moins pour percer la signification philosophique des facéties du Roi Singe que pour l'emballage visuel et musical qui est signé Gorillaz, groupe à la mode. Certains, du reste, n’hésitent pas à présenter le spectacle comme une manifestation du groupe anglais bénéficiant d'une mise en scène à son service. Les Inrocks.com titre ainsi « Gorillaz au Théâtre du Châtelet » :
« Les deux créateurs du groupe virtuel Gorillaz, Damon Albarn et Jamie Hewlett, présentent « Monkey : Journey To The West » au Théâtre du Châtelet à Paris. D'après une oeuvre classique de la littérature chinoise, Monkey : Journey To The West mis, en scène par Chen Shi-Zheng, réunira acrobates, chanteurs lyriques et moines Shaolin afin de former un « cirque-opéra ». Damon Albarn a composé la musique du spectacle tandis que Jamie Hewlett s'est attelé à la conception visuelle et aux costumes. »
Dans la foulée, ont été mis en ligne, d'une part, un site marchant commercialisant des produits dérivés !, d'autre part, un espace d'échange sur MySpace où l'on peut voir une vidéo de présentation, entendre des extraits musicaux, lire des critiques et même poster la sienne ... On y trouve aussi des liens vers des articles de la presse mondiale ... On y apprend également une nouvelle qui réjouira les retardataires : le spectacle sera donné au Staatoper de Berlin entre le 8 et le 15 juillet 2008.

Souhaitons seulement que chacun y trouve son compte, et que, surtout, tous se jettent sur le roman-fleuve à la première occasion. Un passage de la traduction française dans le format économique de la collection « Folio » , comme a pu en bénéficier, en 1997, Shuihuzhuan 水滸傳 [Au bord de l'eau (J. Dars, trad., 1978), n° 2954 et 2955], puis, en 2004, Fleur en Fiole d'Or - Jin Ping Mei 金瓶梅 [A. Lévy, trad. (1985), n° 3997 et 3998], serait le bienvenu pour assurer la popularité de cette œuvre majeure de la littérature mondiale.


Super Monkey

Après cela, que dire de l'adaptation en BD du fameux roman qui inspire le spectacle précédent, sinon que, d'après ce dont j’ai pu en juger à travers une quinzaine de planches, seuls les plus jeunes ou les inconditionnels devraient apprécier. Ce doit être suffisant, puisque l'éditeur Xiao Pan, le spécialiste de la BD chinoise dont nous avons déjà parlé ici, en est à sa cinquième livraison sur un ensemble de vingt prévues, sous le titre générique Le Voyage en Occident [Voir le volume 1, 2, 3, 4 et 5]
Si l’on m’oppose que j'ai passé l'âge de goûter aux dessins nerveux que Peng Chao (1975-) plaque sur le scénario de Chen Weidong (1969-) [la traduction étant assurée par
Gilbert Mijoule], ou que la fréquentation des éditions Ming et Qing a définitivement émoussé ma sensibilité, j'en conviendrais bien volontiers. Pour ceux qui comme moi, ont passé l’âge des premiers émerveillements, d'autres chocs sont à prévoir avec, dans l'ordre, une adaptation du Pavillon de l'ouest (Xixiangji 西廂記) et plusieurs de contes tirés des collections de Feng Menglong 馮夢龍 (1574-1646) (Youfeng) ; ce sera dans un billet moins simiesque intitulé Avatars (002). (P.K.)

dimanche 7 octobre 2007

Devinette (007)

Vue du Collège impériale à côté du Temple de Confucius de Pékin à la fin du XIXe siècle
[Source : http://irc.aa.tufs.ac.jp/thomson/top.html]

A qui doit-on - vous savez que lorsqu’un billet commence de cette manière, c'est qu'il s'agit d'une devinette : celle-ci est notre septième devinette ; niveau de difficulté : 1,5/5 -, or donc ! à qui doit-on cette petite scène très vivante qui nous restitue un Kongzi 孔子, Maître Kong, pédagogue infatigable confronté aux réticences d'un fils un rien rebelle, nous le rendant très proche et qui plus est poète ?
« Un jour, le grand sage Confucius rencontra son fils sur le seuil du pavillon des Livres, et lui dit : « Mon cher Khong-Li, êtes-vous bien avancé dans l'étude de la poésie ?» Avec un certain dédain, l'adolescent répondit : « Je ne m'y adonne pas, mon père. » « Vous avez tort, mon fils. Si vous n'apprenez pas la poésie, si vous ne vous exercez pas à faire des vers, dussiez-vous ne devenir qu'un médiocre poète, vous ne connaîtrez jamais complètement votre langue, vous ne saurez pas bien parler. » Confucius, lui, était poète. En Chine, la poésie semble aussi ancienne que la Chine elle-même, et comme cela arrive presque toujours, le premier de ses poètes, ce fût le peuple. »
On prendra donc la peine d'identifier l'auteur de cette belle fable ainsi que le passage du Lunyu 論語, Les Entretiens de Confucius, dont il s'inspire. Tout le monde peut, et même doit, participer. Merci d'avance et à très bientôt pour les solutions commentées : disons vers le 15 de ce mois, alors ne tardez pas. (P.K.)

Miscellanées (004)

1 - Le compte n'est pas bon.

Il y a peu je vous parlais gros sous et annonçais des montants importants attachés à des prix et à des contrat mirobolants (Jiang Rong, Wang Shuo). La lecture du dernier billet en date publié par Pierre Assouline dans sa République des Livres m'amène à des chiffres bien plus modestes et à faire le constat suivant : la traduction ne paie pas !

Le critique distingué, biographe de talent et homme de lettres influent titre : « My tanslator is not rich » et reprend les résultats de l'enquête réalisée par l'ATLF (Association des Traducteurs littéraires de France) « auprès de 166 traducteurs » et « à partir d’un échantillon de 415 contrats signés au cours de l’année 2006 pour des traductions en français qui permet d'établir le tableau comparatif des tarifs pratiqués en moyenne dans l’édition (montants bruts en euros par feuillet de 25 lignes de 60 signes) : anglais : 19 à 21,50 € ; allemand/ italien/ espagnol : 21,50 à 22,50 € ; autres langues : 21,50 à 23,50 € ».

Le traducteur du chinois - comme celui du japonais, du vietnamien, du thaï, du coréen ... -, recevrait donc un traitement avantageux ! Une question me vient à l'esprit : cette fourchette correspond-elle à la réalité ? Je vous encourage évidemment à laisser ici vos commentaires, mais aussi à lire ceux qui se sont attachés au billet de Pierre Assouline (plus de 40 au moment où j'écris). Celui laissé par odradek, le 06 octobre 2007 à 02:11, ne manque pas d'humour : « C’est par cher payé pour tous ces traîtres… ».


2. Mise en abîme.

Toujours dans le même blog et à propos du billet « ‘Borges ? Intraduisible’ etc. » (27/09/07) dans lequel il est question du manque de clairvoyance des éditeurs et/ou de leur bonne étoile, Tai Foutu, le signataire anonyme d'un des 361 commentaires, écrit :
« En refusant de publier La Montagne de l’âme de Gao Xingjian (Nobel 2000), Gallimard, Le Seuil, Picquier et tant d’autres, avaient peut-être raison. En acceptant de publier l’ouvrage, l’Aube offrait à l’écrivain une chance d’obtenir « le » Prix. La politique fit le reste. L’avenir jugera. »
Voilà qui appelle un commentaire, n'est-ce-pas ?


3. Là-haut sur la montagne !

Toujours sur la toile, mais cette fois en images, des échos du Letteraltura, le Festival de Littérature de montagne, voyage, aventure qui s'est déroulé à Verbania (Piemont, Italie), grâce à ce document intitulé « LetterAltura - Alla colazione con gli autori (28/06/2007) » visible sur Youtube, ici. On y aperçoit Gao Xingjian. Il était un des « Invités d’exception de LetterAltura 2007 » qui proposait (je cite) :
« Deux rendez-vous avec les auteurs se dérouleront en français "La montagne de l’âme" est le titre du dialogue entre Gao Xingjian, Prix Nobel de Littérature en l’an 2000, français d’adoption, et le journaliste Alain Elkann. Un dialogue qui conduira le public à la découverte des montagnes de la Chine, à la recherche de traditions millénaires, sur les traces de mythes, magie et rites anciens que la politique maoiste n’a pas pu complètement déraciner. »

D'autres échos à partir du site LetterAltura sur Youtube, ici, et sur le site d'Azzurratv qui conserve un article sur ces rencontres avec un lien vers une vidéo que je ne suis pas parvenu à visionner.

En acceptant cette invitation, Gao qui a, naturellement, été traduit en italien (voir ici et ), n'a-t-il pas pris le risque de passer pour un écrivain de la montagne ?


4. « il più grande scrittore cinese vivente »

En écoutant bien le commentateur de la vidéo qui se trouve derrière le lien suivant (ici), savoir un document audiovisuel de 5 minutes 19 secondes publié par La Zazzamita Production (voir aussi ici), vous entendrez ceci ...« Mo Yan, il più grande scrittore cinese vivente ». On retrouve cette affirmation dans le bref commentaire suivant :
« Puntata di ‘Universo Università’ dalla Facoltà di Scienze Politiche di Catania. In questa ultima parte il servizio sull'incontro presso il Coro di notte del Monastero dei Benedettini con Mo Yan, il più grande scrittore cinese vivente »


Il est attaché à une vidéo visionnée à peine 116 fois depuis sa mise en ligne sur Youtube, le 29 mai dernier [Voir ci-dessus]. Elle rend compte de la visite de l'écrivain Mo Yan à l' ‘Universo Università’ dalla Facoltà di Scienze Politiche di Catania au Monastère des Bénédictines (1558) de cette belle ville de Sicile. Cette fois, contrairement au film précédent, on y entend Mo Yan s'exprimer en chinois, avec en musique de fond - ponctuation ironique ou illustration naïve ? - l'hymne national chinois avec lequel tranche un générique final aux accents plus modernes ! (P.K.)