vendredi 14 mars 2008

Onze bis

Vrai ou faux unique manuscrit du poète Li Bai 李白 (701-762)
analysé par Jean-François Billeter
dans L'art chinois de l'écriture (Skira, 1989, p. 193-195) qui traduit le poème
« Sur la terrasse Yang » (« Shang Yangtai »
上陽臺, vers 742-744) :
Les monts se dressent, les eaux s'écoulent,
et de là naissent des figurent sans nombre.

Sans un pinceau parfaitement exercé,

comment épuiser ce surgissement limpide ?
Ecrit le 18e jour, après être monté sur la terrasse du Yang.
山高水長,物象千萬,非有老筆,清壯可窮。
十八日,上陽臺書,太白。


Non, il ne s’agit pas de la douzième devinette qui viendra en son temps, mais d'une interrogation que je souhaite vous faire partager. En effet, je me demande qui est le sinologue dont William Somerset Maugham dresse le portrait dans ce passage du Paravent chinois que je vous livre dans la traduction de Madame E. R. Blanchet (Paris : Les Editions de France, 1933, pp. 233-234) :
Le sinologue.

Un colosse, mais boursouflé comme s’il prenait trop peu d’exercice. Des taches rouges plaquent son visage glabre. Ses cheveux grisonnent. Il parle très vite, et sa voix de fausset étonne dans ce corps puissant. Il occupe dans un temple, à la porte de la ville, l’appartement réservé aux hôtes de passage. Trois prêtres bouddhistes assistés d’un acolyte desservent le sanctuaire et accomplissent les rites. Dans les chambres, quelques meubles chinois, des livres partout : peu de confort. Le temps est froid. Un poêle à pétrole chauffe mal le bureau où nous sommes assis. Il sait mieux le chinois que personne en Chine. Depuis dix ans, il travaille à un dictionnaire destiné à éclipser celui d’un lettré célèbre. Voilà un quart de siècle qu’il cherche à démolir ce concurrent exécré. Ainsi, tout en se distinguant dans la sinologie, il satisfait sa rancune. Il parle d’un ton doctoral. Sans doute finira-t-il dans une chaire de chinois de l’université d’Oxford, où sa place est tout indiquée. Sa culture dépasse celle de la plupart de ses confrères qui savent peut-être le chinois, il faut, du moins, le croire, mais rien d’autre. Ses remarques sur la pensée et la littérature du Céleste Empire ont donc une portée assez rare. Ses études l’absorbent au point de l’éloigner des courses et de la chasse. Aussi les Européens le traitent-ils d’original. Comme ceux qui ne partagent pas les goûts de tout le monde, il inspire la méfiance et même la crainte. On va jusqu’à le soupçonner d’avoir l’esprit dérangé et de fumer de l’opium. Le blanc, passionné par la civilisation du pays lointain où doit se poursuivre sa carrière, passe souvent pour un fou. Une courte visite dans sa cellule d’ascète, et vous savez que cet homme vit exclusivement par l’esprit. Existence de spécialiste. La vie et la beauté semblent ne pas le toucher et tandis qu’il exalte la poésie chinoise, je me demande si les meilleurs de nos plaisirs ont jamais existé pour lui. C’est seulement par la page imprimée qu’il a pris contact avec la réalité. La splendeur tragique du lotus ne l’émeut que décrite par Li Po et le rire argentin d’une jeune Chinoise ne parle à son cœur qu’à travers un quatrain sans défaut.
Si vous avez une idée, n’hésitez surtout pas à la partager. (P.K.)

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