mercredi 23 avril 2008

Maugham again

Le précédent billet contenait une mise en garde contre le manque de clarté des éditeurs par rapport aux traductions et aux traducteurs, mais aussi contre certains traducteurs indélicats. Dans le registre « méfions-nous des éditeurs et des traducteurs », je vous invite de lire le compte-rendu par Jacques Drillon de la traduction française de Millenium de Stieg Larsson sur BibliObs.comLes bourdes de «Millénium» »], billet qui m'a remis en mémoire le projet de vous parler d'un ouvrage qui cumule autant de « bourdes », mais qui est la « pseudo-traduction » d'un roman chinois écrit par un (mauvais) auteur français qui se fait passer pour un auteur chinois.

En attendant ce moment de vérité, je vous livre, comme promis, quelques-uns des passages relevés au fil de ma lecture de La passe dangereuse de William Somerset Maugham (Paris : 10/18, « Domaine étranger », n° 1697, 183 p.), passages qui pourraient un jour servir de base à une confrontation du rendu d'E. R. Blanchet avec le texte d'origine et une évaluation des libertés qu’elle a prises avec lui ; si vous en disposez, n'hésitez pas -- ils figurent respectivement aux chapitres 24, 40 et 43.
  • Où il est question de Waddington – « laid comme un singe, mais non sans charme » (p. 70) - le commissaire des douanes de la préfecture de Mei-tan-fu « à quelque six cents kilomètres » de Hong Kong, région ravagée par le choléra où son mari, un « bactériologue officiel » (sic, p. 26), a contraint Kitty de le suivre pour se venger d'une aventure avec l’irrésistible secrétaire colonial adjoint de la colonie anglaise :
« Bien qu'il se défendit de posséder le chinois - il se moquait des sinologues -, il le parlait avec aisance. Il lisait peu et il s'était surtout cultivé par la conversation. Souvent il entretenait Kitty de romans chinois ou de l'histoire de Chine, et, malgré son éternel badinage, il laissait poindre dans ses narrations de l'intérêt et même de la sensibilité. Inconsciemment peut-être, il semblait avoir adopté le point de vue des Chinois sur la barbarie des Européens et la vanité de leur existence. Il n'est de véritable sagesse et de philosophie que dans la conception chinoise de la vie. C'était pour Kitty un objet de méditation. Elle avait toujours entendu parler de la déchéance, de la saleté de ces Jaunes et de leur nature impénétrable. Un coin de voile se soulevait. Elle entrevoyait un monde d'une profondeur et d'une richesse qu'elle n'avait pas soupçonnées.» (p. 80)
  • Plus tard, Kitty rencontre la compagne de Waddington, une princesse mandchoue :
« Jusqu'alors, la jeune femme n'avait jamais prêté qu'une attention distraite, voire un peu méprisante, à cette Chine où le sort l'avait jetée : hors son milieu habituel, rien ne l'intéressait. Et voici qu'elle soupçonnait soudain quelque chose de secret et d'insondable. C'était l'Orient antique et mystérieux. Les croyances, l'idéal de l'Occident paraissaient rudimentaires à côté de l'idéal et des croyances dont la vue de cette exquise créature lui donnait l'intuition. Elle découvrait une autre vie vécue sur un autre plan. Devant l'idole aux yeux obliques et sages, elle sentait la vanité des efforts et des peines du monde mesquin où elle était née. Ce masque peint semblait receler le secret d'une philosophie séculaire et profonde. Les longues mains frêles, dans leurs doigts délicats, tenaient la clef d'énigmes irrésolues. » (p. 128)
  • Après la mort de son mari emporté par le choléra, Kitty interroge Waddington sur le Tao dont il lui a déjà parlé :
« - C'est la Voie et le Passant. La route sans fin où marchent tous les êtres ; mais personnes ne l'a créée, car elle est la vie. Tout et rien. Tout en sort, tout s'y adapte ; pour finir, tout y retourne. C'est un carré sans angles, un son que l'oreille ne perçoit pas, une image sans forme, un vaste filet dont les mailles aussi larges que la mer ne laissent rien passer. C'est le sanctuaire, l'universel refuge. Il n'est nulle part, mais, sans chercher au-dehors, vous pouvez le découvrir. IL enseigne le secret de ne pas désirer le désir, de laisser les événements suivre leurs cours. Qui s'humilie sera exalté. Qui s'abaisse sera élevé. La faillite est dans l'essence du succès, et le succès est la trêve de la faillite ; mais qui peut prédire le moment de revirement ? L'être torturé par l'amour peut retrouver la sérénité d'un petit enfant. Le charme donne la victoire à celui qui attaque et assure le salut de celui qui défend. Pour être fort, il faut d'abord savoir se dominer. - Est-ce donc la clef de l'énigme ? - Je me l'imagine parfois, quand, après une demi-douzaine de whiskies, je regarde les étoiles.» (p. 147)
Plaisant, isn't it ? (P.K.)

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