mardi 20 mai 2008

Mencius, le retour

Zengzi 曾子, disciple de Confucius, et sa maman :
un cas touchant de piété filiale tiré des Ershisi xiao 二十四孝.

La Chine est à la mode chez les libraires pour le meilleur et pour le pire. Le « moins pire du pire » d'abord avec un livre nouveau qui n'apporte rien sinon un accès facile mais payant à une matière librement consultable sur internet. Je m'explique.

Les éditions Pocket s'étaient intelligemment manifestées récemment (2006) en intégrant en trois volumes dans sa collection de poche « Agora », un Monde chinois (1978-1999) de Jacques Gernet qui devenait ainsi accessible à toutes les bourses. Mais, voilà que la même collection propose aujourd'hui un volume de Textes essentiels de la pensée chinoise : Confucius et le confucianisme (n° 317). Si, au premier abord, l'offre est alléchante, les 352 pages de ce choix de textes établi et présenté par Alexis Lavis, n'offrent rien de plus que des extraits - j'écris de mémoire car je ne l'ai pas acheté - du Lunyu 論語 (Les Entretiens de Confucius), du Mengzi 孟子 (Mencius), du Daxue 大學 (La Grande étude) et du Zhongyong 中庸 (L'Invariable milieu), donc des Sishu 四書 (Quatre Livres), avec en plus le Xiaojing 孝經(Classique de la Piété filiale) et des bribes du Liji 禮記 (Le livre des Rites) à chaque fois dans la traduction historique qu'en donna Séraphin Couvreur (1835-1919) à la fin du XIXe siècle et pour le Xiaojing, celle encore plus ancienne du Père Pierre Martial Cibot (1727-1780) datant de 1779 !

Le texte de présentation ne justifie absolument pas un achat dont on fera léconomie, non pas que ces traductions plus que centenaires ne méritent plus de circuler --- bien au contraire, qui ne voudrait pas les voire ressortir dans leur intégralité et avec un appareil critique adapté ?-, mais qu'elles sont toutes en accès libre et gratuit dans des versions consciencieusement numérisées par Pierre Palpant dont le travail de bénédictin aurait bien pu servir à rentabiliser au maximum l'édition de ce livre. Celui-ci pourrait, en toute logique, être le premier d'une série longue et passionnante, mais, si l'on en croit la quatrième de couverture, devrait tourner court : « Il y eut certes en Chine de nombreux courants de pensée qui marquèrent durablement sa culture, mais seul le confucianisme en fut pour ainsi dire le cadre qui fit de l’empire du Milieu un monde si spécifique. (...) Cette anthologie des grands textes confucianistes offre au lecteur un large champ au sein duquel il pourra entrer de façon approfondie dans cette pensée qui ordonna tout l’esprit d’un peuple. » Passons, on sait depuis un précédent billet consacré au dernier opus de Nicolas Zufferey comment se faire une bonne idée de la richesse de la pensée chinoise !

Le meilleur maintenant. Pour à peine plus d'1 € supplémentaire, on ne résistera pas à la réédition en poche [Editions Rivages Poche / Petite Bibliothèque, n° 615] du Mencius qu'avait publié en 2003 aux Editions You-Feng, André Lévy. Un format plus compact - 293 pages contre 212 au départ -, pour un livre qui ne perd rien de son premier jet, pas même ses caractères chinois qui agrémentent les 20 pages d'une érudite introduction, les nombreuses notes de bas de pages, les deux appendices [la biographie du penseur dans le Shiji 史記 et l'évocation du dévouement de sa mère dans le Lienüzhuan 列女傳], le glossaire des « mots clés du Mencius » et la bonne bibliographie finale. Avec quelques coquilles en moins, c'est un Mencius nerveux et direct qu'on prendra plaisir à comparer si l'on veut avec celui de Couvreur [en ligne ici] dont les Editions des Mille et une nuits avaient, voici quatre ans déjà, tiré plusieurs chapitres (I, II et IV) pour composer un petit volume intitulé De l'utilité d'être bon (n° 445, 2004, 79 pages).

Il ne reste plus à André Lévy qui, quittant un temps les contrées de la littérature de divertissement - roman et théâtre - de la Chine ancienne, et après quelques escapades en terres contemporaines et bien d'autres ouvrages originaux, avait traduit un incontournable Lunyu (Confucius, Les entretiens avec ses disciples, Paris : GF, n° 799, 1994, 256 p.), qu'à rendre vie aux deux autres des Quatre Livres.

Tant qu'il ne l'aura pas fait, on devra encore se reporter aux traductions décapantes d'Andrew Plaks chez Penguin Books (« Penguin Classics », 2003) qui jouent par rapport à celles de James Legge (1815-1897) (The Chinese Classics, 1865-1872), le même rôle rafraîchissant que les traductions d'André Lévy avec celles de Couvreur : Ta Hsüeh and Chung Yung (The Highest Order of Cultivation and on the Practice of the Mean). xxxix + 127 pages dont 50 de notes.

Reste encore en suspens la question de savoir qui rendra enfin justice au Xiaojing que Roger Pinto (Le Seuil, « Points/sagesses » n° 131, 1998) n'avait guère épargné dans son rendu livré en amuse-gueule au fac-similé de la version Cibot qui avait passé les vingt dernières années de sa vie à Pékin ? Mais peut-on espérer trouver en France le même engouement pour ces vieilleries qu'en Chine-même où ces textes sont réédités sous toutes les formes, presque jusqu'à la nausée ? Et que diriez-vous d'un Ershisi xiao 二十四孝, ce petit recueil d'époque Yuan (1279-1368) proposant 24 exemples de Piété filiale piochées dans l'histoire de Chine entre sa lointaine Antiquité et la dynastie Song ? En feriez-vous volontiers votre livre de chevet ? (P.K.)

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