samedi 19 janvier 2008

Devinette (010)

Illustration tirée de Confucius. Des mots en action,
Danielle Elisseeff. Gallimard/RMN, « Découvertes », n° 440, 2003.

Le hasard fait bien les choses. Alors que je me désolais de devoir encore attendre qui sait combien de temps la réception d'un ouvrage pour vous poser la devinette de rentrée - la dixième de notre série initiée voici dix mois déjà (voir ici) - , je tombe, par hasard donc, sur ce passage qui me plaît beaucoup :
« J'avoue que je suis peu versé dans la littérature chinoise. Durant qu'il était vivant et que j'étais fort jeune, j'ai un peu connu M Guillaume Pauthier, qui savait le chinois mieux que le français. Il y avait gagné, je ne sais comment, de petits yeux obliques et des moustaches de Tartare. Je lui ai entendu dire que Confucius était un plus grand philosophe que Platon ; mais je ne l'ai pas cru. Confucius ne contait point de fables morales et ne composait point de romans métaphysiques.
Ce vieil homme jaune n'avait point d'imagination, partant point de philosophie. En revanche, il était raisonnable. Son disciple Ki-Lou lui demandant un jour comment il fallait servir les Esprits et les génies, le maître répondit :
- Quand l'homme n'est pas encore en état de servir l'humanité, comment pourrait-il servir les Esprits et les Génies ?
- Permettez-moi, ajouta le disciple, de vous demander ce que c'est que la mort.

Et Confucius répondit :

- Lorsqu'on ne sait pas ce que c'est que la vie, comment pourrait-on connaître la mort ?
Voilà tout ce que j'ai retenu, touchant Confucius, des entretiens de M. Guillaume Pauthier, qui lorsque j'eus l'honneur de le connaître, étudiait spécialement les agronomes chinois, lesquels, comme on sait, sont les premiers agronomes du monde. D'après leurs préceptes, M. Guillaume Pauthier sema des ananas dans le département de Seine-et-Oise. Ils ne vinrent pas. Voilà pour la philosophie. Quant au roman, j'avais lu, comme tout le monde, les nouvelles traduites à diverses époques, par Abel Rémusat, Guillard d'Arcy, Stanislas Julien et d'autres savants encore dont j'oublie le nom. Qu'ils me le pardonnent, si un savant peut pardonner quelque chose. Il me restait de ces nouvelles, mêlées de prose et de vers, l'idée d'un peuple abominablement féroce et plein de politesse.
»
La question est simple : qui est l'auteur de ce passage ? La solution sera révélée à la fin du mois de janvier ou beaucoup plus tôt par l'une ou l'un d'entre vous. Bonne chance. (P.K.)

jeudi 17 janvier 2008

Miscellanées (007)

L'année 2008 sera-t-elle un bon cru pour le roman asiatique en France ? Il est un peu tôt pour l'affirmer, mais si l'on se fie aux différentes annonces de publications à venir et aux efforts déployés par certains éditeurs pour nous en convaincre, elle devrait être mémorable. Encore que la sortie du Totem du loup, dont il fut question ici, pourrait laisser de marbre le public français et s'avérer in fine un pétard mouillé. Que dire, alors, de l'offensive médiatique des Editions Robert Laffont qui se déploie ces jours-ci sur deux fronts : le chinois et l'indien ?


Amour, luxure et … trahison

Dans le premier cas, l'affaire semble entendue. Il suffit de surfer sur l'engouement probable généré par la sortie du dernier film du réalisateur Ang Lee [Li An 李安 (1954-)] en proposant le livre qui lui a servi de prétexte --- et comme le film sera diffusé - à partir du 16/01 - chez nous sans aucune coupure, cela ne devrait pas poser de trop de problème.

La page internet consacrée (voir ici) à cette publication qui offre en tout quatre courtes nouvelles de Zhang Ailing 張愛玲, alias Eileen Chang (1920-1995) est du reste assez sobre et livre une quatrième de couverture à peine enrichie d'un lien vers la bande annonce du film. On y apprend que c'est Emmanuelle Pechenart qui a traduit celle qui nous est présentée comme « issue d’une grande famille de Shanghai, (...) contrainte par les événements politiques à émigrer à Hong Kong dans les années 1940. Encensée alors par la critique de son pays, qui voit en ce très jeune écrivain un auteur majeur de la littérature chinoise contemporaine, elle s’exile à nouveau, aux États-Unis cette fois. Là, en dépit du succès grandissant qu’elle rencontre, au soir de sa vie, auprès du public chinois, elle finira ses jours dans un total et volontaire isolement. » On devrait reparler de l'auteur et de ce livre ici très bientôt car ce dernier ne fait que 180 pages imprimées en gros caractères et précédées seulement d'une courte introduction. Celle-ci s'attache un peu au titre original, Se / Jie 色,戒 , sans pourtant justifier le choix de flanquer le titre anglais Lust / Caution d'un appendice qui renforce l'approche érotico-mélodramatique donnée aux écrits de Zhang Ailing par Ang Lee : Amour. Luxure. Trahison. Mais, puisque le livre reprend l'affiche du film, il se peut que l'éditeur et sa traductrice n'aient eu voix au chapitre.


Sacred Games à tout prix.

Avec Le Seigneur de Bombay (Sacred Games), le défi est plus grand puisqu'il s'agit d'imposer au lecteur français un roman de 1040 pages d'un auteur - Vikram Chandra - connu des seuls amateurs de littérature indienne contemporaine et de le lui faire accepter comme un incontournable best-seller. Les Editions Robert Laffont ont donc augmenté la voilure, voir ici. A une quatrième de couverture au style accrocheur sont venues s'adjoindre non seulement la vidéo d'une interview réalisée en anglais et dûment sous-titrée dans laquelle l'auteur répond aux questions de - je suppose - son traducteur, Johan-Frédérik Hel Guedj, mais aussi ce qu'on pourrait appeler une bande annonce qui joue de tous les effets dont abuse la communication publicitaire. Last but not least, un ‘widget’ est offert. Il permet non seulement de feuilleter le début du livre, mais aspire à conquérir les blogs afin de faire monter le buzz ! On trouve une autre preuve de l'attention dont a été entourée cette édition dès la couverture en harmonie avec le sujet que je vous laisse découvrir en long et en large, en texte et en images : voir aussi ici ou . Pour aller encore plus loin, on actionnera le lien qui conduit au site de cet auteur né en 1961 que l'image et le son nous ont rendu naturellement très attachant : mais avons-nous besoin de cela pour apprécier une œuvre ? Qu'en pensez-vous ?



Du Genji à tous les prix.

Une meilleur façon d'attirer l'attention du lecteur est de lui proposer en plus d'un texte de qualité, une édition d'exception. C'est ce qu'a choisi de faire Diane de Selliers Editeur en livrant fin septembre 2007 une magnifique et luxueuse édition du Genji monogatari 源氏物語 (XIe s.), le chef-d'œuvre, bien connu mais si peu lu, de la littérature japonaise.

L'œuvre de Murasaki-shibibu 紫式部 avait été traduite en français pas René Sieffert (1923-2004). C'est sa traduction, publiée en 1988 aux Publications orientalistes de France sous le titre Le Dit du Genji, qui est reprise. Elle retrouve toute sa force entourée de quelque 520 peintures du XIIe au XVIIe siècle présentées par Estelle Leggeri-Bauer (INALCO). Ce beau travail est accompagné d'un texte critique signé par Madame Sano Midori (Université Gakushûin, Tôkyô). Le site de l'éditeur (voir ici) offre un moyen idéal d'en prendre la mesure et de rêver - le coffret coûte tout de même 480 € ! Pour un clic seulement, on peut disposer d'un excellent dossier présentant une description de l'ouvrage ainsi qu'une riche présentation de l'œuvre. Ce document en format pdf signale que l’année 2008 célèbre le millénaire du Genji monogatari dans le monde entier. C'est donc le moment de le lire, ou de le relire, même si c'est dans la modeste réédition de 2001 des POF (Collection « Les œuvres capitales de la littérature japonaise », 1311 pages, 58 €). (P.K.)

dimanche 13 janvier 2008

L'eau à la bouche

Dans le domaine
de la littérature chinoise ancienne,
l'activité éditoriale tourne à ce point au ralenti
en ce début d'année que je me sens dans l'obligation
de vous signaler jusqu'aux rééditions d'ouvrages anciens,
même lorsque celles-ci pourraient passer pour mineures voire anecdotiques.

Je le fais d'autant plus volontiers aujourd'hui que l'ouvrage dont il va être question donnera, je le souhaite, envie d'en découvrir un autre de vingt-deux ans d'âge qui m'est cher : En mouchant la chandelle : nouvelles chinoises des Ming [Traduction de Jacques Dars revue par Tchang Foujouei. Paris : Gallimard, « L’imaginaire » n° 162, 1986 - voir l’illustration ci-dessus : il a été réédité depuis sous une nouvelle couverture] que Jacques Dars présentait ainsi :
« Voici un choix de nouvelles du début des Ming (XIVe-XVe siècles) : elles connurent en Chine un si fort succès qu'on les mit à l'index afin qu'elles ne distraient pas les jeunes lettrés de la sacro-sainte étude des Classiques confucéens ! Elles sont dues à deux lettrés fonctionnaires, l'un qui vivota de façon obscure, l'autre qui fit une prestigieuse carrière ... mais fut descendu de son piédestal à cause de ces répréhensibles écrits » (p. 7)
Le premier est Qu You 瞿佑 (1341-1427) à qui on doit les Nouvelles histoires en mouchant la chandelle, Jiandeng xinhua 剪燈新話, le deuxième est Li Zhen 李禎 (1376-1452), auteur de la Suite aux histoires en mouchant la chandelle, Jiandeng yuhua 剪燈餘話. Leurs écrits « atteignent d'emblée la perfection, et leur œuvre, qui ne devait être qu'une imitation des chuanqi anciens, est si élaborée et si belle qu'elle atteint, de l'avis des connaisseurs, des sommets inégalés, et marque l'aboutissement du genre » (ib.).

Ce genre, qui comprend tout aussi bien des « chroniques ou notations bizarres » parfois fort rustiques des Ve et VIe siècles et des nouvelles littéraires « consciemment élaborées, aux intrigues et aux péripéties complexes portée par une langue rénovée, flexible, riche, et extrêmement travaillée » (p. 9) sous les Tang, est ce que les spécialistes appellent selon l'époque considérée des zhiguai xiaoshuo 志怪小說 ou des chuanqi 傳奇. En un peu moins d'un quart de siècle, Jacques Dars en a fait connaître les principales facettes : les récits de l'étrange de l'époque des Six dynasties dans Aux portes de l'enfer [Nulle part, 1984, réédité en « Picquier Poche », 1997], le premier des cinq volumes du Yuewei caotang biji 閱微草堂筆記 ou Notes de la chaumière des observations subtiles (1789-1798), la monumentale collection réunies par Ji Yun 紀昀 (1724-1805), une des plus fameuses des collections tardives [Passe-temps d'un été à Luanyang. Gallimard, « Connaissance de l'Orient », n° 99, 1998, 563 p.] et cette anthologie de récits Ming (1368-1644).

Le tirage qui la remet dans l'actualité est un choix publié dans la collection de poche « Folio 2 € ». Il sort ces jours-ci sous le titre : Le pavillon des Parfums-Réunis [Gallimard, 107 p.]. Il conserve 6 des 22 récits de l'original et selon mon décompte quatre des quatorze de Qu You suivis de deux des sept de Li Zhen, soit les n° 5, 8, 13, 15, 19 et 21 qui sont respectivement : « Le Pavillon des Parfums-Réunis », « Les Lanternes-pivoines », « Émeraude », « La Belle aux habits verts », « Bijou » et « L'Écran aux hibiscus ».

Relisez les ou lisez les sans tarder : Jacques Dars y déploie un savoir traduire d'une rare efficacité qui fait qu'on oublie que cela a été écrit dans une belle langue classique fort retorse, mais écrivait-il, il n'aurait « jamais eu l'audace, ou la légèreté, de publier ces traductions, si un parfait lettré chinois, en l'occurrence M. Tchang Foujouei [Zhang Furui 張馥蕊], n'avait accepté de les revoir » (p. 18). Le temps, parfois cruel pour les traductions comme pour les hommes, n'a en rien altéré la qualité de ce travail - on croirait même que Qu et Li ont couché le fruit de leur débordante imagination directement en français. La seule chose que l'on peut regretter, c'est qu'en se jetant sur ce petit aperçu, le lecteur ne limite son plaisir et ne perde au passage des explications fort utiles fournies naguère par le traducteur, notamment concernant l'influence durable de ces écrits en Chine-même, mais aussi à l'étranger :
« Après un passage en Corée [où elles inspirent à Kim Sisûp 金時習 (1435-1493) son Kûmo sinhwa 金鰲新話, Nouveaux contes du Mont Kûmo] (et des traductions au XVIe siècle), les livres de Qu You et Li Zhen gagnèrent le Japon où, maintes fois traduits, ils devaient marquer durablement la littérature fantastique de l'époque d'Edo [江戶(1603-1867)], et être considérés comme une part importante du patrimoine littéraire chinois. C'est d'abord un certain Nakamura qui traduisit, en mêlant les traditions fantastiques chinoise et japonaise, trois nouvelles de Qu You (L'épingle d'or au phénix, Les lanternes-pivoines, La grotte de Shenyang), et les publia en 1648. Vers la même date parut une traduction de huit nouvelles, puis, en 1666, Asai Riyôi [淺井了意, mort en 1691] publia son Togibôko [伽婢子], une traduction où les patronymes et toponymes étaient japonisés. L'œuvre eut d'immenses répercussions, en particulier sur les recueils fantastiques de Tsuga Teishô (Hanabusazôshi, 1749) et de Ueda Akinari [上田秋成 (1734-1809)] (Ugetsu monogatari [雨月物語, 1768] que les lecteurs français ont pu goûter dans la traduction de R[ené] Sieffert : Contes de pluie et de lune [Paris : Gallimard/Unesco, « Connaissance de l’Orient », (1956) 2000. 231 p.]). Hayashi Razan [林羅山 (1583-1657)] (Kwaidan zensho [怪談全書], 1643) avait, lui, adapté des récits de Qu You et Li Zhen. Aux XIXe et XXe siècles, les traductions se sont succédées, sans parler d'un chapelet l'adaptations et d'imitations : soit trois siècles de succès ininterrompu.
Mais l'œuvre de Qu You parvint même, incognito pourrait-on dire, jusqu'en Europe ! En effet, l'histoire des lanternes-pivoines, la préférée des Japonais, fut reprise par le passionné de folklore nippon qu'était Lafcadio Hearn (1850-1904) dans son recueil fantastique, parfois glaçant et épouvantable, Kwaidan [1904, voir ici ou ]. Les lecteurs de langue anglaise ignoraient sans doute qu'ils se délectaient à une histoire chinoise du début des Ming, comme le firent des lecteurs de langue allemande quand Gustav Meyrink [(1868-1932)], l'auteur du Golem, traduisit l'œuvre de Hearn. On le voit, l'œuvre de Qu You eut une étrange destinée et une gloire dont il n'eût jamais osé rêver ! » (p. 16-17, les interventions entre crochets sont de moi).
L'influence fut également sensible au Vietnam, sur notamment sur le Truyên ky man luc 傳奇漫綠 de Nguyên Du 阮嶼 (XVIe s.) qu'on peut lire en français depuis 1962 grâce à Nguyên-Tran-Huan : Vaste recueil de légendes merveilleuses (Paris : Gallimard/Unesco, « Connaissance de l’Orient », (1962) 1989. 278 p.).

Y a-t-il meilleur livre que celui qui invite à en lire d'autres ou à une relecture ?

Dans cette même collection de publications à petit prix, mais rigoureusement établie et proposant des extraits de textes représentatifs de la littérature chinoise ancienne, on peut encore trouver une autre traduction de Jacques Dars - il s'agit d'un choix de 50 des 297 récits de son Ji Yun (voir plus haut), sous le titre très engageant de Des nouvelles de l'au-delà (N° 4326 - 2005, 138 p.) -, mais aussi d'autres fragments de livres également publiés dans la collection « Connaissance de l'Orient » qu'il dirige aux Editions Gallimard :
  • N° 4393 - Wang Chong 王充 (27-97 ?), De la mort. (2006 : extraits de Discussions critiques - Lunheng 論衡, 1997, traduits par Nicolas Zufferey )
  • N° 4145 - Les entretiens de Confucius (2004, 140 p. : traduction intégrale du Lunyu 論語 par Pierre Ryckmans (alias Simon Leys), seulement allégée d'une partie des notes et de la préface d'Etiemble)
  • N° 3961 - Le poisson de jade et l'épingle au phénix. Conte chinois du XVIIe siècle (2003, 106 pages : dixième conte du Huanxi yuanjia 歡喜冤家 traduit par Rainier Lanselle et tiré de son anthologie de contes érotiques parue sous le même titre en 1987)
Ces fragments sont autant d'invitations à lire plus de littérature ancienne, alors pourquoi résister ? (P.K.)