jeudi 27 mars 2008

Devinette (012)

Carte de Chine de 1593 en vente ici.

C'est souvent, l'avez-vous remarqué, quand on est pressé par quelque obligation supérieure et/ou empêtré dans plusieurs besognes à rendre dans les meilleurs délais, que l'on tombe sur un livre que l'on croyait vidé de son intérêt par les années, daté, livre qu'on a négligé pendant qui sait combien de temps, 10, 20 ou 30 ans, et qui, dès qu'on le parcourt, accapare l'esprit au point de rendre tout le reste secondaire. On se délecte alors de sa réapparition soudaine et inattendue, ravi que cet opus sorti du champ de vision fasse surgir des sujets qu'on croyait n'avoir jamais été abordés aussi pertinemment, rendant les avis fraîchement énoncés par d'autres, tout à coup, bien fades et sans relief.

Pour vous faire partager mon émoi et, par la même occasion, vous faire perdre un peu de votre précieux temps, je vais, en guise de douzième devinette, vous soumettre un extrait tiré d'une de ces lectures délicieusement intempestives .... dont je ne vous révélerai l'identité que lorsque j'aurai rattrapé un peu de mon retard. Voici le passage qui, comme le numéro un d’Impressions d'Extrême-Orient, la revue en ligne à laquelle nous travaillons d’arrache-pied, parle de voyage. Il y est question des récits de voyage en Chine et des enseignements qu'on en peut tirer :
Il est rare (et normal) que les livres sur la Chine soient seulement des livres sur la Chine. Au temps de la « grande lueur de l'Est », les livres sur l'U.R.S.S. étaient rarement des livres simplement consacrés à l'U.R.S.S. On peut à la rigueur trouver un récit de voyage chez les Pygmées, en Suède ou dans les Cévennes, qui se limite à décrire comment c'est dans la Grande Forêt, à Upsala ou sur le causse Méjean. Mais tout le monde cherche aussi à Pékin comme ça devrait être à Flins, comment ce n'est pas à Moscou, ce que ça pourrait être à Détroit. Avec le risque de décrire, à la fin, ce qui serait souhaitable à Pékin en croyant avoir vu ce qui serait réel.
Les voyageurs en Chine ne se bornent pas, en général, à rendre compte de ce qu'ils ont vu là. Ils règlent aussi, indirectement, des comptes avec ce qu'ils ont espéré voir ailleurs, et ont été déçus ou enragés de ne pas voir, en U.R.S.S., à Cuba, dans le « socialisme arabe » imaginaire. [.../...] Neufs récits de voyages sur dix sont le reflet d'une présence objective, celle de l'immense Chine, et l'ombre portée d'une absence, d'un creux et d'un manque. Stendhal : «
Je tremble toujours de n'avoir écrit qu'un soupir quand je crois avoir noté une vérité. » Il y a autant, et parfois plus, de soupirs que de vérités dans la littérature occidentale sur la Chine.
De qui sont donc ces lignes ? (P.K.)

mercredi 26 mars 2008

Des intellectuels chinois s'engagent au sujet du Tibet

Cliché tiré du blog de Tsering Woeser.

Personne ne peut rester insensible aux événements qui se jouent en ce moment en Chine. La proximité des Jeux Olympiques y conduit tous les regards et les médias, même les moins bien préparés, offrent tous leurs décryptages et leurs analyses. N’étant pas en prise direct avec eux, nous ne saurions proposer les nôtres. Ce blog, qui plus est, n’a pas été conçu pour devenir une tribune ou un forum où pourraient se confronter des avis et des appréciations. Il n’empêche que lorsque ce sont des hommes de lettres qui entrent en jeu et invitent à la réflexion en se mettant en danger, nous ne pouvons rester silencieux et garder les yeux baissés vers le fond de notre bol de nouilles. Le fait sur lequel nous voudrions attirer votre attention est, vous l’avez deviné, la pétition qu’ont publié sur internet une trentaine d’intellectuels chinois.

Sous la plume de Pierre Haski, « Des intellectuels chinois s'opposent à Pékin sur le Tibet », le site d’informations en ligne Rue89.com a, dès le 23 mars, déjà rendu compte de cette initiative courageuse, et fournit la traduction française de la pétition mise en ligne le 22 mars 2008 sous le titre de « Douze propositions d'intellectuels pour résoudre la crise au Tibet » 中国部分知识分子关于处理西藏局势的十二点意见. L’un et l’autre textes ont déjà été repris par un nombre assez significatif de sites et de blogs attentifs à la Chine et à ce qui s’y passe.

Voici comment Pierre Haski (Rue89) situe ce texte et ses enjeux :
En plein cœur de la bataille de la propagande menée par les autorités chinoises pour retourner l'opinion publique chinoise contre les manifestants tibétains et contre le dalaï lama, plusieurs dizaines d'intellectuels chinois ont pris le risque de rédiger, signer, et publier un autre son de cloche dissonant. Ce texte rendu public samedi, dont Rue89 vous propose la traduction intégrale en français, propose une alternative à la répression, et l'ouverture d'un dialogue avec le dalaï lama.
Les signataires sont pour beaucoup des intellectuels dissidents connus, tels Wang Lixiong, Liu Xiaobo ou Yu Jie. Ils savent ce qu'ils encourent de s'opposer ainsi à la position officielle du Parti communiste sur un sujet aussi majeur. Ils ont devant eux l'exemple d'un autre dissident, Hu Jia, arrêté à Noël dernier et jugé en catimini pour « subversion » au moment même où éclataient les émeutes de Lhassa. L'un des signataires, l'avocat Teng Biao, a récemment été kidnappé plusieurs jours par la police politique, puis relaché, sans doute pour l'intimider. [Lire la suite]
Si le texte chinois n’a pas le souffle des grands appels qui ont marqué l’histoire des revendications chinoises, il n’en porte pas moins des éléments forts, telle que la remise en question de la censure dont les mécanismes et les méfaits ont été maintes fois dénoncés par notamment des intellectuels chinois tel Jiao Guobiao, et tant d’observateurs de la vie médiatique chinoise comme Danwei.org ou encore Zonaeuropa.com [EastSouthWestNorth], mais sans le moindre effet.

L’appel à la raison qui constitue le corps de la pétition à laquelle chacun est libre de s’associer, mérite d’être lu dans son intégralité ; il se conclut par ces mots :
Nous espérons que les Chinois et les Tibétains pourront éliminer les malentendus, développer les échanges, et réaliser l’union entre eux. Qu’il s’agisse des agences du gouvernement, ou des organisations populaires et des personnalités religieuses, tous doivent œuvrer en vue de cet objectif. [Lire le texte intégral]
La liste des signataires fait apparaître les noms de juristes, de professeurs et de chercheurs, de journalistes, de défenseurs des « droits populaires » et des droit des malades du sida, naturellement celui de Ding Zilin 丁子霖, mais aussi d’un ingénieur, celui d’un peintre, d’un photographe, d’un éditeur et ceux d’écrivains : Wang Lixiong 王力雄, Liu Xiaobo 刘晓波, Yu Jie 余 杰 , Sha Yexin 沙叶新, Liao Yiwu 廖亦武, Wang Debang 王德邦, Zhao Dagong 赵达功, Jiang Danwen 蒋亶文, Xu Hui 许 晖, Li Hai 李 海 et Liu Yiming 刘逸明.

Les plus connus sont sans aucun doute les trois premiers, savoir :

Wang Lixiong 王力雄 que Remi Quesnel appelle « un intellectuel atypique » dans l’article qu’il consacrait dans le n° 79 de Perspectives chinoises (sept.-oct. 2003) à l’auteur du roman Huanghuo 黄祸 (Péril jaune, 1991) « très critique vis-à-vis du régime de Pékin ». Wang est marié à la poétesse et analyste tibétaine Tsering Woeser dont le blog, écrit en chinois (et parfois en anglais), est consultable depuis la France et dont un ouvrage, Mémoire interdite. Témoignages sur la Révolution culturelle au Tibet, traduit par Li Zhang et Bernard Bourrit, est attendu aux Editions Bleu de Chine, qui, cela dit en passant, proposent plusieurs écrits d’auteurs tibétains.

Liu Xiaobo 刘晓波, également à l’initiative d’une pétition en faveur de Hu Jia 胡佳 qui a déjà reçu plus de 480 signatures [ici en chinois, et là en anglais], est l'actuel président du Independent Chinese Pen Center (ICPC) qui est « a non-political, non-profit organization of writers that fights for the protection of freedom of expression and publication, and works toward ensuring the free flow of information, a prerequisite for a truly open society » fondée en 2001. Son site fournit les écrits de beaucoup des signataires de la pétition. En 1997, Frank Muyard avait rendu compte de ses écrits d'alors ; voir à nouveau Perspectives chinoises n° 40, mars - avril 1997, page n° 29 : « Liu Xiaobo : un intellectuel chinois face à la tradition et au nationalisme ».

Yu Jie 余 杰 est le plus connu des Aixois qui ont eu l’occasion de le voir et de l’entendre dans nos murs. On peut relire le texte que lui consacra, le 8/08/2005, Pierre Haski en attendant les compléments que ce billet rédigé dans l'urgence ne devrait pas manquer de susciter.

A l’heure où j’écris (26/03/08, 10h30), cette pétition a déjà reçu presque 400 signatures de Chinois vivant en Chine et d’autres à l’étranger, mais aussi d’Occidentaux. Pour voir les signataires et suivre l'évolution de cette démarche, se rendre ici.


Complément du 28 mars, 8h08 :

- à lire dans le Libération du 28/03/08, l'interview donnée par Liu Xiaobo à Pascalle Nivelle, « Pékin ne comprend pas le poids de la religion au Tibet ». Interrogé sur la pétition, il répond : « Les problèmes entre Chinois et Tibétains sont dus à la politique du gouvernement central et à sa propagande unilatérale, non aux peuples. Au Tibet, seul compte le secrétaire général du PCC. Les autres sont là pour la galerie. Le dalaï-lama et le panchen-lama, le numéro 2, sont interdits de résider chez eux. Les moines n’ont pas le droit d’exprimer leurs convictions, ni leur attachement à leur chef spirituel. C’est une erreur. Le gouvernement chinois, qui ne représente que le pouvoir Han et l’athéisme, ne comprend pas le poids de la religion pour les Tibétains. Ils pensent qu’en donnant de l’argent et en permettant l’enrichissement personnel comme ailleurs en Chine, ils vont régler les problèmes, que la population s’éloignera naturellement du dalaï-lama. Ils tentent d’acheter le Tibet, seule région qui ne paye pas d’impôt au gouvernement central et où il n’existe pas de taxes d’importation. Les autres provinces, plus ou moins riches contribuent à cette croissance, ce qui ne manque pas de poser des problèmes. Il est vrai que le niveau de vie des Tibétains s’est élevé. Mais pour un peuple aussi religieux, cela ne suffit pas. Cette politique est vouée à l’échec.»

- à lire, sur Marianne2, l'article de Pauline Delassus et Régis Soubrouillard mis en ligne le 28/03/08, 00h03 et intitulé « Chine : LaGrandecencsure.com ».

- à consulter sur le site « Arrêt sur images le dossier « Tibet, contrechamps ».

Cap au nord

Vue de la place de l’UCL de 0 à 23 h – images webcam.

A quelque 1000 km de notre base, l'école doctorale Histoire, Art & Archéologie de l'Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve) organise une journée sur

« La traduction entre Orient et Occident :
modalités, difficultés et
enjeux ».

Elle se déroulera le 25 avril 2008
(8 h 30 - 17 h 30. Salle du Conseil de la Faculté de Philosophie et Lettres, UCL, Louvain-la-Neuve).

Une fois de plus on regrettera de ne pouvoir s'y rendre car voici l'argumentaire retenu par un comité scientifique comprenant les Professeurs Pierre-Henry De Bruyn (U. La Rochelle), Françoise Lauwaert (ULB), Li Shenwen (U.Laval, Sainte Foy, Québec), Liu Kuang Neng (Université Nationale Centrale, Taiwan), Paul Servais (UCL et FUSL) et Andréas Thele (ULG) :
Depuis l’intensification des contacts entre l’Occident et l’Extrême-Orient au XVIe siècle, la travail de traduction n’a cessé de se développer, d’abord d’Orient en Occident, qu’il s’agisse de textes classiques, philosophiques, religieux ou littéraires ou de documents scientifiques, diplomatiques ou juridiques, ensuite, surtout à partir du XIXe siècle, d’Occident en Orient, en accentuant peut-être plus particulièrement les textes religieux, les documents scientifiques et techniques, enfin les œuvres littéraires.

Si traduire, c’est faire passer un texte d’une culture à une autre, accueillir dans un univers culturel des éléments de la culture de l’autre, s’ouvrir à la culture de l’autre en levant « l’obstacle de la langue », cette activité peut prendre des formes différentes, utiliser des méthodologies diverses, rencontrer des obstacles particuliers, exercer des impacts contrastés, fonction des choix opérés. On peut notamment songer à la Querelle des Fleuristes qui traverse l’orientalisme français entre 1820 et 1840, aux oppositions entre Silvain Lévi et Louis de la Vallée Poussin au début du XXe siècle ou à la controverse opposant Jean-François Billeter et François Jullien au début du XXIe siècle.

S’il y a sans aucun doute de bonnes et de mauvaises traductions, il y a encore plus certainement des critères d’évaluation qui varient en fonction de la nature des textes, des instruments de travail disponibles, des attentes du public ou de ce qui est perçu comme tel. Ainsi, dans le domaine littéraire, philosophique, religieux, historique, une traduction réussie est-elle celle qui me convainc que l’auteur s’adresse à moi aujourd’hui dans ma langue ou celle qui me donne le sentiment que je peux le lire dans sa langue ? Par-delà la question du respect de la lettre ou de l’esprit, la traduction chercherait-elle à produire un équivalent du texte original sans toutefois renoncer à toutes ses étrangetés ? Et qu’en est-il de la proximité de l’acte de traduction et de celui d’interprétation ?

Partant de l’hypothèse que la traduction est un lieu privilégié de la rencontre et du dialogue fructueux des cultures, un haut lieu de la pratique de l’hospitalité, avec sa dimension éthique et politique, les différentes contributions au colloque aborderont dans un premier temps une question générale : « qu’est-ce que traduire ? », avant de tenter de cerner en quoi il est plus particulièrement complexe, et risqué, de traduire d’une langue orientale vers une langue occidentale et vice-versa. Dans un deuxième temps, une série d’études de cas tenteront de cerner les difficultés de traduction propres à des textes de natures ou d’origines différentes, d’identifier les possibilités de résolutions envisageables pour ces difficultés et leurs conséquences respectives sur le processus de communication et de passage d’un univers culturel à l’autre. L’impact de la position spécifique du traducteur fera également l’objet d’une analyse particulière, de même que celui des canaux de diffusion du travail de traduction.

Quant au programme, il est, jugez-en par vous-même particulièrement relevé :
  • Paul Servais (Professeur, Université catholique de Louvain), « Mise en perspective problématique »
  • Marc de Launay (Chargé de Recherche CNRS et Ecole Normale Supérieure, Paris), « Qu’est ce que traduire ? Une approche philosophique »
  • Patrick Carré (Université bouddhiste Européenne, Paris), « En quoi est-il difficile de traduire de l’Orient vers l’Occident ? »
  • Sun Yu-Jun (Professeur, Université Nationale Centrale, Taiwan), « En quoi est-il difficile de traduire d’Occident en Orient ? »
  • Noël Dutrait (Professeur, Université d’Aix-en-Provence), « Comment traduire la littérature chinoise contemporaine au début du 21e siècle ? »
  • Renaat Beheydt (Professeur, Ecole Supérieure des Arts et Sciences, campus Institut Lemmens, doctorand Katholieke Universiteit te Leuven), « Comment traduire la littérature française à destination d’un public chinois : expérience et réflexion de FU Lei. »
  • Pauline Tam (Doctorante, Université catholique de Louvain), « Traduire de la littérature chinoise à Pékin à destination d’un public francophone »
  • Bernard Stevens (Professeur, Université catholique de Louvain, Chercheur Qualifié, FNRS), « Comment traduire la philosophie japonaise au début du 21e siècle ? »
  • Philippe Picquier (Editeur, Paris), « Publier la littérature orientale traduite à l’aube du 21e siècle. Pourquoi ? Comment ? »
  • Lambert Isebaert (Professeur, Université catholique de Louvain), « Table ronde et conclusions »
On compte naturellement sur Noël Dutrait pour nous communiquer ses impressions à son retour de ce périple nordiste dans un lieu si particulier, qui doit sa naissance à son attachement à langue française. (P.K.)



Mais en attendant, on se rendra aujourd'hui même
- mercredi 26 mars 2008 -
à l'Université de Provence
(campus d’Aix Schuman, bâtiment central, salle des professeurs, 17h00 - 18h30)
pour écouter Noël Dutrait parler de
« Gao Xingjian, sa vie, son oeuvre »,
conférence qui donnera le la aux manifestations de
l’inauguration de
l'Espace de Recherche et de Documentation
Gao Xingjian
, Prix Nobel de Littérature 2000.
[Programme]