samedi 10 mai 2008

Quelques lectures, un voyage et un colloque

Depuis quelques semaines, je partage mes lectures entre un roman fort plaisant Petit dictionnaire chinois-anglais pour amants de Xiaolu Guo, paru chez Buchet Chastel et Le Totem du loup de Jiang Rong, paru chez Bourdin éditeur. Rien à voir entre les deux œuvres, si ce n’est qu’elles ont été écrites par des auteurs chinois !


Xiaolu Guo dont on avait pu lire La Ville de Pierre, traduit par Claude Payen, publié par les éditions Philippe Picquier, nous livre un nouveau roman écrit sous la forme d’un dictionnaire qui est traduit de l’anglais par Karine Laléchère. Notons que de la même manière que les éditeurs indiquent parfois « traduit de l’espagnol (Cuba) », l’éditeur indique ici traduit de l’anglais (Chine). Nous apprenons donc avec grand intérêt que l’anglais est manifestement l’une des langues en usage en Chine !

Ceci dit, ce roman en forme de dictionnaire est particulièrement amusant à lire et l’on peut saluer le tour de force de la traductrice qui a reproduit dans sa traduction la maladresse de l’anglais de débutant de l’auteur, une jeune fille chinoise fraichement débarquée de Chine à Londres sans savoir un seul mot de la langue de Shakespeare. Tout ce qu’elle possède, c’est un dictionnaire chinois-anglais qui parfois, comme tous les dictionnaires, n’explique pas tout…

Au fil des pages, l’anglais (traduit en français) de l’héroïne s’améliore. Depuis un paragraphe tel que celui-ci : « Les nourritures ici sont très confondantes. Les Anglais mangent et boivent des choses étranges. Même Confucius trouve l’anglais confondant s’il vient ici, je pense », en passant par l’évocation des « œufs brouillons » on arrive à une description du pays de Galles fort bien menée au chapitre intitulé « Phare ». Et au cours de ces pages, depuis l’entrée « Prologue » à l’entrée « Epilogue » en passant par « « Bisexuel », « Anarchisme », « Fatalité » « Humour » ou « Berlin », on mesure la distance culturelle entre la jeune chinoise un peu perdue et l’artiste anglais déprimé avec lequel elle se met en ménage, ainsi que l’ensemble des questions que se pose l’héroïne au sujet de sa nouvelle vie et des situations et villes nouvelles qu’elle découvre.


Le Totem du loup, c’est une autre affaire… L’éditeur indique sur la quatrième de couverture: « Vendu en Chine à plus de vingt millions d’exemplaires, Le Totem du Loup est un fascinant roman d’aventures. Mais c’est aussi le récit d’une initiation, celle de Chen Zhen, jeune étudiant chinois qui doit apprendre, au contact des tribus mongoles, comment survivre… Les hordes de loup règnent encore sur la steppe. Les cavaliers nomades, héritiers de Gengis Khan, craignent et vénèrent cet animal qu’ils ont choisi pour emblème. La rencontre avec cette culture va bouleverser le jeune Chinois. Il sera d’autant plus ébranlé que cet univers qui le séduit tant est sur le point de disparaître… »

En fait, ce roman est davantage le récit d’une longue interrogation d’un « jeune instruit » chinois, envoyé en Mongolie intérieure, au sujet de la supériorité ethnique des Mongols (qui ont dominé le monde à une époque donnée) par rapport à la faiblesse des Han (incapables de résister aux invasions étrangères à travers les siècles. Il élabore une théorie qui voudrait que les Mongols, peuple de nomades, se soient inspirés de l’organisation clanique des loups tandis que les Han, peuple de pasteurs, se soient comportés comme les moutons… que les loups dévorent. Le jeune instruit, Chen Zhen, va même jusqu’à élever un louveteau pour mieux étudier son comportement…

La campagne orchestrée pat l’éditeur français a porté ses fruits. Les grands quotidiens et les grands hebdomadaires français ont consacré une ou deux pages à ce roman, sans vraiment dire nettement s’ils appréciaient ce livre pour ses qualités littéraires ou pour les informations qu’ils nous apportaient sur ce mystérieux totem du loup. On y insiste surtout sur le fait que ce livre serait considéré dans certains milieux économiques chinois « comme une sorte de Bible dans laquelle ils voient une apologie de l’esprit de compétition, une arme dans la guerre économique contre l’Occident » (Voir « L’année du loup », par Pascale Nivelle, Libération du 7 février 2008.)

Je reviendrai sur ce roman prochainement, mais aujourd’hui j’aimerais savoir si parmi les lecteurs de notre blog, certains l’ont lu et ce qu’ils en pensent…

Au passage, signalons aussi l’article sur le roman de Yu Hua, Brothers (un titre en anglais pour un roman chinois, décidément l’anglais semble bien être l’une des langues de la Chine…) paru dans Le Monde des livres du 9 mai 2008.

Enfin, le colloque auquel j’ai participé à Louvain-la-Neuve était, comme on pouvait s’y attendre, passionnant. La traduction entre Orient et Occident : modalités, difficultés et enjeux, voilà le genre de problématique qui préoccupe beaucoup la jeune équipe dont vous lisez le blog qui, soit dit au passage, va très prochainement changer de nom, passant de « Littérature chinoise et traduction » à « Littératures d’Extrême-Orient, textes et traduction ».

Après que le professeur Paul Servais eut présenté la problématique de la journée, Marc de Launay, Chargé de recherches au CNRS et à l’Ecole Normale supérieure de Paris ouvrait les travaux avec une très stimulante communication intitulée « Le sens et le temps ». Il indiquait en introduction : « Une longue tradition européenne, souvent mal contrôlée, à peine discutée, situe la pratique de la traduction dans un réseau de connotations où dominent, du côté des récepteurs, le soupçon qu’elle serait une tâche peccamineuse, et, du côté des traducteurs, la culpabilité de n’avoir pas fait assez droit à l’original. Cette atmosphère explique le recours à des termes impropres comme ceux de « fidélité » ou de « trahison » qui n’ont, en fait, rien à voir avec la pratique traductive ; mais elle explique une certaine pusillanimité, chez nombre de traducteurs, qui les entraîne à tout à la fois sous-estimer leur fonction en lui refusant une dignité philosophique, par exemple, et à en surestimer le caractère personnel, néanmoins bien présent, en oubliant que toute traduction est vouée à la reprise. »

Ensuite, les différents participants ont disserté sur le choix des traductions, la manière de les présenter, la réception des œuvres traduites, les difficultés de communication d’une langue à l’autre et/ou d’une civilisation à l’autre. La question des concepts philosophiques occidentaux traduits en chinois en passant par le japonais, la traduction des textes canoniques du Bouddhisme, la traduction de la littérature occidentale vers le chinois et de la littérature chinoise vers l’Occident, autant de sujets qui ont été approchés et discutés au cours de cette journée. La publication des actes de ce colloque apportera certainement une petite lumière de plus pour éclairer ce long chemin qui permet la communication entre les cultures.

Noël Dutrait

vendredi 9 mai 2008

Derniers paragraphes (001)

Voici une nouvelle rubrique pour signaler rapidement des articles disponibles - plus ou moins longtemps et pas toujours gratuitement - sur internet ou sous forme plus traditionnelle, par la mention de leur référence et, sans autre forme de procès, leur dernier paragraphe. La première livraison (001) concerne la littérature chinoise contemporaine et des auteurs et des ouvrages déjà signalés sur ce blog.

Portrait de Yu Hua pris sur son blog.
Yu Hua 余华

Le Monde des livres (08/05/08) propose grâce à Nils C. Ahl
  • un entretien avec Yu Hua à l'occasion de la sortie française de son dernier livre traduit, Brothers (Actes Sud, 2008), « Yu Hua : « J'ai servi la Chine toute crue » : « Brothers est un livre important par son ambition et sa radicalité, Yu Hua le sait. Au moins pour lui. Les livres réinventent parfois les écrivains. « Ce roman-là a fait naître un nouveau Yu Hua. Il y a dix ans, je n'aurais pas osé être aussi libre et aussi sincère. Il m'a fallu beaucoup d'audace pour écrire ce livre. J'ai arrêté d'avoir peur de la manière dont on me lirait. Je n'ai plus cherché à plaire ni à savoir comment bien écrire. Je n'osais pas choquer avant ce livre. Je le faisais malgré moi, parfois. Avec Brothers, on peut croire que j'ai fait exprès de choquer. En vérité, j'ai seulement trouvé un peu de courage pour écrire sans me poser de questions. »
  • et une critique, « Une vie dans le bouillon de l’histoire », qui finit par : « On se souvient de Yu Hua auteur de romans habités et incisifs comme Vivre ! (Le Livre de Poche, 1994) ou Le Vendeur de sang (Actes Sud, 1997). On le découvre aussi habile à décrire le dilemme enfantin entre des bonbons et un amour fraternel qu'à jeter ses personnages dans la gueule de l'histoire. Ecrivain de l'ambition et de la déception sociale, des amours contredites et indirectes, il y a de l'Hemingway chez Yu Hua, certainement, mais aussi du Stendhal. »
Sur Liberation.fr (24 avril 2008), on peut encore lire en ligne l'interview de Yu Hua par Claire Devarrieux - « La Chine est plus riche et la vie plus exagérée que je l’imaginais. Rencontre. Yu Hua évoque «Brothers» et sa vision de la Révolution culturelle » - et la note critique, « Hip hip hip Yu Hua », qui se conclut ainsi : « Brothers est sans doute le plus insolent des livres de Yu Hua. Les slogans maoïstes y sont continuellement détournés (une des prouesses des traducteurs est de l’avoir rendu perceptible en français). L’expérience la plus crue, ou la plus cruelle, est filtrée par le regard d’un garnement généreux. Il y a souvent des enfants dans les histoires de Yu Hua, comme s’il n’avait jamais oublié celui qu’il a été. Tous ses romans racontent que la vie est susceptible de basculer du jour au lendemain, et que c’est arrivé à tous les Chinois de sa connaissance. »


Le Sunday Book Review du New York Times consacre une bonne place de son dernier numéro mis en ligne le 4 mai 2008 (accès gratuit) à la littérature chinoise actuelle et à quatre de ses auteurs les plus marquants :

Wang Anyi 王安忆

A la fin d'un court article intitulé « Miss Shanghai » qui signale de la sortie de The Song of Everlasting Sorrow. A Novel of Shanghai de Wang Anyi récemment traduit par Michael Berry et Susan Chang Egan aux Presses de l'Université Columbia (Columbia University Press, 440 pp.), Francine Prose écrit : « As The Song of Everlasting Sorrow moves toward its violent, melodramatic and distressingly appropriate ending, readers may feel a Proustian nostalgia for the novel’s lost time, a sadness that mirrors the melancholy that haunts Wang Qiyao and pervades the fascinating, mostly vanished longtang of Shanghai. » Chez nous, le roman a été traduit par Y. André et S. Lévêque : Le Chant des regrets éternels (Picquier, 2006). Le site américain propose également le premier chapitre de ce roman dans sa traduction anglaise.


Yan Lianke 閻連科

« Kissing the Cook » est le titre de l'article dans lequel Liesl Schillinger - qu'on peut entendre dans le podcast du 5 mai 2008 - parle du Serve the People ! de Yan Lianke que vient de traduire Julia Lovell (Black Cat/Grove/Atlantic, 217 p.) et dont on peut aussi lire le premier chapitre : « Lucky for Yan Lianke — who, after all, must make his life in a country of contradictions, possibilities and thin skins — we can’t be sure. Two years ago, responding to a blogger who asked him to explain the deeper story behind his banned book The Dream of Ding Village, he said : « I am a person who is almost 50 years old. At this age, I don’t want to argue with anybody anymore. The only thing that I want to do is to write better novels. » He added, « From now on, I will be silent. » As for the deeper meaning of Serve the People!, perhaps Fielding said it best, in the opening words of Joseph Andrews : « Examples work more forcibly on the mind than precepts. »


Jiang Rong 姜戎

C'est avec une référence à Jack London (1876-1916) et à son fameux roman, The Call of the Wild (1903), connu en français sous le titre de L'appel de la forêt (sans doute à revoir) que Pankaj Mishra offre une recension du Wolf Totem de Jiang Rong dont la traduction par Howard Goldblatt vient de sortir chez Penguin Press (527 p.). Son « Call of the Wild » se conclut ainsi : « It seems strange that the Chinese censors missed this indictment of Han imperialism. It’s even more remarkable that a novel so relentlessly gloomy and ponderously didactic has become a huge best seller, second in circulation only to Mao’s little red book. This success may be due, at least in part, to its exhortations to the Chinese to imitate the go-getting spirit of the West. However, Wolf Totem also captures a widespread Chinese anxiety about their country’s growing physical and moral squalor as millions abandon the countryside in search of a middle-class lifestyle that cannot be environmentally sustained. The novel’s literary claims are shaky; and Jiang Rong’s apparent wish to transform China’s national character through a benign conservationism is compromised by his boy-scoutish arguments for toughness. Yet few books about today’s China can match Wolf Totem as a guide to the troubled self-images of so many of its people as they stumble, grappling with some inconvenient truths of their own, into modernity. »


Mo Yan 莫言

Pour Mo Yan, c'est le grand sinologue Jonathan Spence (1936-) [voir sa biographie sur le site de l'American Historical Association par le regretté Frederic E. Wakeman Jr. (1938-2006)], professeur d'histoire moderne de la Chine à l'université de Yale et auteur de tant d’admirables livres dont le dernier en date est Return to Dragon Mountain: Memories of a Late Ming man (Viking Books, 2007, 352 p.) consacré à Zhang Dai 張岱 (1597-1689) qui intervient. On apprend du reste que « Spence remarked in a recent telephone conversation, he feels « at home with Mo Yan’s literary rendering of complex political and social shifts. » The appearance of “novels of this quality, » he added, « suggests that freedoms are being claimed in fiction that are still taboo in political writing. »

L'ouvrage sur lequel il se penche est la traduction que Howard Goldblatt (encore lui !) vient de publier chez Arcade sous le titre : Life and Death are wearing me out (540 p.). Le dernier paragraphe constitue une excellente conclusion à cette revue de presse. Le voici : « The kind of critique that we find in this book has many echoes within China today. In his new novel, Wolf Totem, Jiang Rong includes a ferocious account of the battle between a starving wolf pack and a herd of wild horses that seems tightly geared to showing the value of older ways of living in the steppe, in contrast with the ultimately disastrous values insisted on by the Party. Mo Yan has his own version of such a battle in his account of the donkeys’ struggle against the wolves near the collective farm. Yan Lianke’s Serve the People! gives a common soldier and his mistress, the wife of the division commander, a summer of passionate lovemaking, culminating in a wild and randy spree in which they smash all the once-treasured artifacts and memorabilia of Mao Zedong and his outmoded, pointless policies. Such antipolitical passion also surfaces in many of the sexual entanglements Mo Yan describes in Life and Death Are Wearing Me Out. It seems that novels in China are coming into their own, that new freedoms of expression are being claimed by their authors. Mao has become a handy villain. One wonders how much longer his successors will be immune from similar treatment. »

Pour achever cette revue de presse, je vous rappelle que la revue Impur dont le numéro 2 est annoncé pour septembre sera consacrée à la Chine et attend toujours des propositions. (P.K.)

mardi 6 mai 2008

Etonnants voyageurs 2008

Le mois mai n'est pas seulement synonyme de beaux jours chômés et de week-ends à rallonge, mais également d'un rendez-vous annuel avec la littéraire dédiée à l'aventure et au voyage et une invitation à faire le plein de ce que nous offrent les écrivains quand ils « redécouvrent le monde », savoir le Festival international du livre et du Film, Etonnants voyageurs.

L'édition 2008 se déroulera, toujours à Saint-Malo, du 10 au 12 mai ; il est donc encore temps de préparer son paquetage et de courir découvrir les activités organisées autour du thème « Migrations », qui nous invite à penser le monde en terme de « flux : flux de populations, comme jamais le monde n’en connut, migrations, volontaires ou subies, flux de capitaux, flux d’images et de sons, immédiateté d’une communication mondialisée. Où l’imaginaire individuel et collectif, paradoxalement, retrouve dans le grand tohu-bohu planétaire une place centrale de puissance de création de communautés imaginaires, fluides, plurielles, en perpétuelles recompositions. » [Lire la suite]

Parmi les quelque 275 écrivains qui feront le déplacement, on peut noter la présence d'auteurs dont il a été question sur ce blog : outre Tran Huy Minh, La princesse et le pêcheur (Actes Sud, 2007), ce sont deux auteurs dont on a déjà évoqué ici l'œuvre : Guo Xiaolu, l'auteur du Petit dictionnaire chinois-anglais pour amants (Buchet Chastel, 2008) et Xinran (Baguettes chinoises, Editions Philippe Picquier, 2008). Pierre Haski sera également du voyage.

Comme annoncé sur le site des Editions Philippe Picquier, plusieurs débats permettront de rencontrer ces auteurs. Un hommage sera rendu à Nicolas Bouvier (1929-1989), disparu voici dix ans déjà. (P.K.)