jeudi 31 juillet 2008

Enfer chinois (03-b)

« A l'heure de la toilette... »
IX° des dix gravures de Wang Chao Ki 王紹吉,
pour La Folle d'amour (Editions du Siao, 1949 - You-Feng, 2005, p. 84).

On doit aux Editions You-Feng (Paris, 2005) d'avoir rendu largement accessible un livre que seuls quelques rares collectionneurs pouvaient encore consulter -- sachez qu'il vous en coûterait 350 euros pour vous rendre acquéreur de l'un des 204 exemplaires tirés sur « pages volantes sous couverture rempliée, chemise et étui cartonnés », dans un format 30 x 22 par les Editions du Siao en 1949. Pour beaucoup moins, soit 13,5 €, mais dans un format réduit (22,5 x 20 cm), l'éditeur-libraire du 45, rue Monsieur-le-Prince (Paris VI) a donc fait revivre dans ce qui semble être sa mise en page d'origine avec les dix illustrations de Wang Chao Ki [alias Ouang Shao Ki, soit Wang Shaoji 王紹吉, peintre originaire du Sichuan] l'ouvrage de 119 pages suivant :
Lo Mengli. La Folle d'amour.
Confession d'une chinoise du XVIIIe siècle.
Adapté et préfacé par Lucie Paul-Margueritte.

Ce qui m'invite à vous le signaler trois ans après sa parution, c'est qu'il n'est pas sans rapport avec deux des sujets de prédilection de ce blog, savoir la littérature chinoise des temps anciens et les traductions françaises de cette même littérature, mais aussi que c’est un avatar intéressant et surprenant du Chipozi zhuan 癡婆子傳, roman qui a fait l'objet d'un billet de la série « Enfer chinois » (n° 03-a).

Sans un examen plus approfondi, il est risqué de dire d'où proviennent les plus criantes distorsions avec l'œuvre originale :
  • d’une version différente du texte source ? Lucie Paul-Margueritte (née en 1886) explique à son lecteur que l'œuvre qu'elle lui propose est « interdite en Chine. Par un de nos représentants, nous avons pu nous procurer ce texte que les Chinois érudits font parfois imprimer clandestinement, et dans un très petit format, afin de pouvoir le dissimuler aisément. l'exemplaire qui me parvint n'était guère plus grand qu'un carnet de papier à cigarettes. Un agent des mœurs l'avait cueilli, me dit-on, dans le revers de manche d'un mandarin lettré. Cette œuvre était signée d'un pseudonyme [...], et le style, très classique, était d'un bon auteur. » (p. 5)
  • le mode opératoire utilisé ? Lucie Paul-Margueritte indique avoir réalisé la traduction de La Folle d'amour avec « un grand érudit », le même avec lequel elle avait déjà travaillé vingt ans plus tôt, et avoue que « l'entreprise était délicate : la narratrice, complaisement, s'attarde sur ses brûlants souvenirs, et elle ne nous épargne l'aveu d'aucune de ses faiblesses, mais ses confidences scabreuses sont émaillées de poèmes de la bonne époque, et leur citation opportune vient agréablement poétiser l'instant d'aberration minutieusement décrit. Et, pour que la morale soit honorée, malgré tout, l'immorale héroïne se repent finalement et se fait ermite, ainsi le diable, en vieillissant. Quoiqu'il en soit, cette œuvre est des moins édifiantes ; j'ai hésité à la publier, et j'estime que si elle mérite d'être imprimée pour quelques-uns, elle doit être gardée dans l'Enfer des Bibliothèques. » (p. 6)
Le résultat pourrait rebuter, sinon faire sourire, celui qui vient de lire Vie d'une amoureuse, mais il est, justement grâce à tous ses défauts et ses zones d'ombre, digne d'intérêt pour l'historien de la traduction. Ce livre constituera donc un objet d'étude de choix pour le petit groupe de travail sur les traductions françaises de littérature chinoise ancienne qui se mettra en place à la rentrée. Celui-ci s'attachera aussi aux autres titres signés par Lucie Paul-Marguerite. En effet, Lucie Paul-Marguerite ne s'est pas contentée de cette Folle d'amour ; elle a adapté plusieurs autres écrits chinois : en plus du Ji Yun, déjà signalé, on peut lire, toujours grâce aux Editions You-Feng (2005), Ts'ing Ngai ou les Plaisirs contrariés. Conte chinois ancien Adapté des Kin-kou-ki-kouan (1927) et une version assez personnelle du Ershisi xiao 二十四孝 avec Amour filial. Légendes chinoises. Les vingt-quatre exemples de Pitié filiale (Editions du Siao, 1929).

Le passage suivant tiré de La Folle d’amour fournit, me semble-t-il, une piste pour envisager la manière somme toute assez « confuse » dont usait Lucie Paul-Margueritte pour toucher son lecteur sans le choquer :
« Elle soupira et se lança, l'infortunée, dans des explications d'autant plus confuses qu'elle essayait de les rendre décentes sur un terrain qui l'est fort peu. Pour me faire, en quelque sorte, toucher du doigt le « t'ou », sexe de l'homme, et m'en suggérer l'aspect, elle évoqua tour à tour, un reptile, la queue d'un scorpion, le pilon qui sert à décortiquer le riz, le poinçon dont on perfore les feuillets d'un livre. Enfin elle dressa, devant mes yeux agrandis d'effroi, une lame de poignard et le sabre avec sa coquille. Elle évoqua aussi le « wo », sexe féminin, conque marine, rose coquillage, pastèque ouverte, fleur vivante, creux humide et tiède qui recèle, en ses profondeurs, un pistil que vient féconder la semence, par l'office du pilon, du poignard, du poinçon, et du sabre enfoncé jusqu'à la garde. » (p. 23-24)
Pour élucider le « t'ou » [tu 凸] et le « wo » [ao 凹], on se reportera au billet « Enfer chinois » (n° 03-a) et aux pages 25 et 26 de Vie d'une amoureuse ou, pourquoi pas, au texte original [ici]. (P.K.)

mercredi 30 juillet 2008

Ombres électriques chinoises sur Télé Campus

Le 12 juin dernier s'est tenue à l'Université de Provence (Aix-en-Provence, Centre des lettres et sciences humaines, salle des professeurs) une Journée doctorale en Langues, Lettres et Arts sur le thème : « Autour du cinéma, réflexions et études de cas ». (Voir le programme complet)

On peut désormais accéder aux vidéos qui ont été réalisées à cette occasion. Elles ont été mises en ligne sur Télé Campus Provence par Lignes de fuite qui est l’association organisatrice créée en juillet 2004 à l’initiative de doctorants et docteurs en études cinématographiques et audiovisuelles de l’Université de Provence.

Parmi les huit doctorants ayant répondu à l'appel, deux méritent particulièrement toute notre attention puisqu'ils participent aux travaux de notre équipe (voir notamment le compte-rendu de notre journée sur la traduction des langues et des littératures asiatiques qui s'est tenue le 26 octobre 2007) et ont consacré leur intervention au cinéma chinois :
  • Solange Cruveillé. Doctorante en sinologie et membre associé de l’équipe « Littérature d’Extrême-Orient : Textes et Traduction » de l’Université de Provence, Solange Cruveillé a récemment traduit les deux premiers tomes de l’épopée chevaleresque chinoise Tigre et Dragon de Wang Dulu 王度盧. (voir nos C.R. sur ce blog). Sa communication, intitulée « La traduction au cinéma : fidélité, libertés et transcription (Tigre et Dragon, Ang Lee, 2000) », propose « de réfléchir autour de l’adaptation cinématographique d’un roman de kungfu chinois (wuxia xiaoshuo 武俠言情小說) écrit dans les années 50 par Wang Dulu un auteur prolifique du genre : le film Tigre et Dragon de Ang Lee 李安 sorti en 2000. Il sera d’abord intéressant de situer ce roman dans la pentalogie littéraire à laquelle il est rattaché. Puis nous pourrons discuter de l’adaptation et de ce que cela implique quand il est question de respecter un genre littéraire, le style d’un auteur, l’intrigue et les différentes facettes des personnages. Enfin, nous nous intéresserons à une autre étape capitale dans le succès et l’accueil d’un film : sa traduction dans la langue maternelle des spectateurs visés, dans notre cas la traduction française. » Pour la voir sur Télé Campus Provence, cliquez ici.
  • Paolo Magagnin est doctorant en littérature chinoise moderne et traduction (Université Ca’ Foscari, Venise et Université de Provence, Aix-en-Provence). Sa communication avait pour titre « Lecture, relecture, réécriture : la littérarité des films de Wong Kar-wai » : « Le style du réalisateur chinois/hongkongais Wong Kar-wai 王家衛 se nourrit constamment de la lecture de modèles littéraires orientaux et occidentaux. Au-delà des thématiques reprises dans ses films, la littérarité du cinéma de Wong Kar-Wai émerge sur d’autres plans, ceux de la structure filmique et de la technique narrative. A travers l’analyse comparée des modèles et des techniques littéraires ainsi que de leurs réalisations cinématographiques, il sera mis en lumière la nature intermédiatique et puissamment créatrice de ses films ». Pour la voir sur Télé Campus Provence, cliquez ici.
Qui osera dire, maintenant, que je n'aime pas le cinéma ? (P.K.)

mardi 29 juillet 2008

Devinette estivale


La citation à identifier provient d'un des ouvrages signalés dans le billet « Lectures estivales (été 2008) » que Jacqueline Nivard a eu la gentillesse de signaler (ici) dans son indispensable Electrodoc.

La voici :
E[lle] chercha à oublier ses inquiétudes en se livrant aux scènes imaginaires que les poètes ont aimé à peindre. Elle put encore s'apercevoir de l'irrésistible empire du moment sur le goût et les facultés. Il faut que l'esprit soit libre, pour goûter même les plaisirs les plus abstraits. L'enthousiasme du génie, les peintures les plus vives, lui paraissaient froides et sombres. Pendant qu'elle tenait son livre, elle s'écria involontairement : « Sont-ce donc là ces passages que je lisais avec délices ! Où donc en existait le charme ? Etait-ce dans mon esprit, ou dans celui du poète ? C'était dans tous les deux, dit-elle, après un instant de silence. Mais le feu du poète est inutile, si l'esprit de son lecteur n'est pas monté au ton du sien, quelque inférieur que d'ailleurs il lui soit. »
La solution dans un mois. (P.K.)