mardi 11 novembre 2008

Quelques notes au fil ...

du clavier d’ordinateur


  • Des nouvelles de Gao Xingjian
Un article de Raphaëlle Rérolle paru dans Le Monde des livres du 31 octobre dernier a attiré mon attention sur l’activité récente de Gao Xingjian à Barcelone où il participait à « Kosmopolis », la Fête internationale de la littérature qui a lieu tous les deux ans. Il y a prononcé la conférence inaugurale devant cinq cents personnes et réaffirmé sa position sur la place de l’écrivain, un thème qu’il a développé aussi dans son recueil de textes publié cette année à Hong Kong, Singapour et Taiwan sous le titre « Au sujet de la création » 论创作.

Ses propos ont été rapportés par Raphaëlle Rérolle : « Un écrivain est avant tout un individu. En tant que tel, il ne peut manipuler le politique. S’il met sa littérature au service de la politique, il en devient l’outil, l’agent de propagande. Il perd alors sa vérité, sa voix. » Et, au sujet de la modernité, il a ajouté : « La modernité est fondée sur une idéologie de la négation. Moi je pense qu’on peut innover sans passer par la remise en cause systématique de ce qui précède. Je ne suis pas révolutionnaire ni provocateur, je respecte et j’apprécie la tradition, ce qui ne veut pas dire qu’il faille la reproduire. Simplement accepter de la réexaminer. »

On le voit, Gao Xingjian tourne résolument le dos à la « littérature engagée » du XXe siècle et ne cesse de réaffirmer cette position qui déconcerte certains. Un dialogue qu’il a eu avec Liu Zaifu à Hong Kong au mois de mai dernier apporte aussi un éclairage sur cette position. Ce dialogue paraîtra prochainement dans la revue Perspectives chinoises du CEFC de Hong Kong. On peut suivre un résumé de sa conférence de presse sur Blip.tv.


A Barcelone, Gao Xingjian ne s’est pas contenté de prononcer cette allocution, il a aussi présenté ses dernières toiles dans une exposition organisée à la Galeria Senda. Le titre en était « Después del diluvio ». Et, pour accompagner cette exposition, Gao Xingjian a tourné un nouveau film avec Corinne Dardé au sujet de son travail pictural. Ce film, d’une beauté plastique fulgurante, peut être vu à l’espace de recherche et de documentation Gao Xingjian de notre université grâce à l’amabilité de l’artiste.

Enfin, les études au sujet de l’œuvre de Gao Xingjian se poursuivent avec la préparation de la publication des actes du colloque de Hong Kong de mai 2008 : « Gao Xingjian, a Writer For His Culture, a Writer Against His Culture », publication dont s’occupent activement Sebastian Veg, chercheur au CEFC et membre associé de notre équipe, ainsi que Gilbert Fong, professeur à la CUHK que nous avons souvent le plaisir d’inviter dans notre université.

  • Des nouvelles de la traduction
Le Magazine littéraire de ce mois-ci publie une enquête signée Pierre Assouline intitulée « Les lois de la traduction perpétuelle » dans laquelle l’auteur s’interroge sur la nécessité de retraduire les œuvres dites « classiques ». Selon Antoine Berman dans L’épreuve de l’étranger (Gallimard 1984), cité par Pierre Assouline, cette retraduction est nécessaire, car elle doit « nous rouvrir l’accès à des œuvres dont la puissance d’ébranlement et d’interpellation avait fini par être menacée à la fois par leur « gloire » (trop de clarté obscurcit, trop de rayonnement épuise) et par des traductions appartenant à une phase de la conscience occidentale qui ne correspond plus à la nôtre »…

Et justement, dans notre université, le directeur de notre école doctorale, Jean-Raymond Fanlo, vient de publier une retraduction du célébrissime Don Quichotte de Cervantès accompagné de ses Nouvelles exemplaires. Dans une longue introduction, Jean-Raymond Fanlo justifie sa démarche et ses choix de traducteur. Je pense que ce texte passionnant peut apporter beaucoup à tous les traducteurs, qu’ils soient d’accord ou non avec la démarche de son auteur, qu’ils soient hispanisants ou non, tellement elle aborde des thèmes communs à l’ensemble des traductions littéraires.

Et surtout, il nous reste le plaisir de découvrir une nouvelle traduction du Don Quichotte, le plus grand roman de tous les siècles selon certains… Une traduction dont Vincent Roy dit dans un article du Monde des Livres « Traduire Cervantès, tripes et boyaux » (7 novembre 2008) : « Le Quichotte se lit désormais comme une aventure au présent. C’est le tour de force de cette nouvelle traduction ».


Pour finir, j’ai envie de dire tout le plaisir que j’ai eu à lire le dernier livre de J.M.G. Le Clézio, Ritournelle de la faim (Gallimard, 2008). Toutefois, j’ai eu une pensée pour les traducteurs qui devront s’atteler à la traduction de ce roman et plus particulièrement au passage suivant qu’ils devront rendre en chinois, japonais, hindi, vietnamien, coréen, thaï et bien d’autres langues du monde :
« Avancer tout droit sur cette route, dans le phaéton Belle-Epoque qui arborait ses splendeurs passées comme une grande cocotte ses bijoux surannés et ses fourrures mitées. Justine digne et droite, chapeautée, gantée, pour mieux en remontrer aux boches. Alexandre, son teint bistre de vieux colonial, quelque chose d’indien dans les mèches blanches qui parsemaient sa tignasse noire. Le barda plus qu’invraisemblable dans l’habitacle de la De Dion, surtout la collection de cannes-épées provenant de Maurice, dont Alexandre avait refusé de se défaire et qui brinquebalait au plafond, attachée par un lacis de ficelles et de nœuds marins. Avait-il réussi à emporter à l’insu de sa femme le modèle au tiers de la grande hélice en bois tournée par un ébéniste selon ses plans, qui devait définitivement révolutionner la propulsion du plus-léger-que-l’air ? »
(Le Clézio, Ritournelle de la faim, p. 149).
Noël Dutrait
11 novembre 2008