dimanche 12 avril 2009

De la traduction du chinois… en Turquie

Je me souviens que, quand j’étais enfant, on m’avait raconté une blague, tout droit tirée de l’Almanach Vermot. Au moment de son exécution, on demandait à un condamné à mort quelles étaient ses dernières volontés. Celui-ci répondait que son seul et ultime désir était d’apprendre à parler le turc et le chinois avant de mourir… Aux yeux de l’humoriste, ces deux langues étaient donc les deux langues au monde les plus longues et difficiles à apprendre. J’ai bel et bien appris le chinois (au mois d’octobre 2009, je fêterai le quarantième anniversaire de mon apprentissage du chinois en me remémorant mes débuts à l’université de Provence sous la direction de Patrick Destenay qui nous initiait aux charmes des quatre tons, avant de commencer l’apprentissage des caractères dans la méthode américaine de Yale University, le fameux et excellent manuel de John DeFrancis), mais le turc m’est resté totalement inconnu. Il me faudrait sans doute encore une bonne quarantaine d’années avant de le maîtriser aussi bien que Marie-Hélène Sauner-Leroy, maître de conférences au département d’études moyen-orientales de l’université de Provence, actuellement en détachement à l’université de Galatasaray à Istanbul, qui m’a permis d’effectuer une mission dans le cadre des échanges Erasmus. Ce fut l’occasion de rencontrer des passionnés de traduction d’Istanbul, à l’occasion de conférences à ce sujet dans son université. La chaleur de l’accueil des autorités de l’université de Galatasaray – le professeur Kenan Gürsoy et le professeur Osman Senemoglu – n’a rien d’étonnant dans un pays aussi hospitalier que la Turquie et la qualité des discussions qui ont entouré les conférences a bien montré que, quelles que soient les langues traduites, du turc au français ou du chinois au français, les difficultés sont les mêmes.

Nous nous sommes demandé au passage comment s’était faite la traduction en turc de La Montagne de l’Âme et du Livre d’un homme seul de Gao Xingjian : à partir du chinois, du français… ou de l’anglais ? J’ai présenté aux collègues turcs et à leurs étudiants la méthode que nous pratiquions dans nos traductions : ni ciblisme, ni sourcisme, mais avant tout un pragmatisme qui permet de résoudre les difficultés du chinois au cas par cas, en respectant le texte original autant que faire se peut tout en soignant le style de la langue d’arrivée, dans le souci que le lecteur francophone profite au mieux de la lecture d’un texte de Mo Yan, Gao Xingjian, A Cheng, Su Tong ou Han Shaogong

Une autre conférence m’a permis de présenter Gao Xingjian, un auteur encore peu connu en Turquie, mais dont les deux principaux romans sont traduits. Les critiques qui ont été formulées après que le prix Nobel de littérature lui a été décerné en 2000 n’étaient pas sans rappeler à mes auditeurs turcs celles qui étaient apparues dans les milieux littéraires stambouliotes lorsque Oran Pamuk avait obtenu le même prix en 2006. L’évocation du rôle de passeur que Gao Xingjian a joué au début des années 1980 en Chine, quand il présentait à ses collègues écrivains l’œuvre de Ionesco ou celle de Prévert, et jetait les bases d’une réflexion sur l’« art du roman moderne » a manifestement reçu un fort écho auprès des enseignants de français de Galatasaray qui ont expliqué à quel point la littérature française a été influente en Turquie, depuis les grands classiques jusqu’au Nouveau Roman.

La découverte d’un pays réserve toujours des surprises… Sur le plan linguistique, si le turc m’a plutôt fait penser aux structures du coréen (la question ne semble pas tout à fait tranchée par les linguistes), l’influence au niveau du vocabulaire se manifeste ici et là. Nous avons en effet savouré de délicieux mantı (avec un i sans point), de petits raviolis dont le nom rappelle celui des mantou chinois. Le mot turc su pour l’eau semble bien venir de shui en chinois… et la porcelaine cini indique bien ses origines. Malheureusement, nous n’avons pas pu voir la collection de porcelaines chinoises conservée au palais de Topkapı (encore avec un i sans point) dont on dit qu’elle est une des trois plus grandes au monde. L’aile du palais où elle est exposée était en réfection… Une bonne raison de retourner à Istanbul.

Si M. Barack Obama se trouvait à Istanbul au même moment, ce n’est certes pas pour assister à des conférences sur la traduction, mais plutôt pour affirmer à quel point il estime nécessaire que la Turquie soit intégrée à l’Union européenne. Et le peu de temps où nous sommes restés en Turquie nous a prouvé que c’était certainement une bonne idée tellement ce pays paraît ouvert et prêt à se tourner vers l’Europe.

Noël Dutrait


2 commentaires:

Anonyme a dit…

Effectivement, il me faudra sans doute 40 ans et une lecture approfondie de l'Almanach Vermot pour espérer maîtriser complètement chinois et turc !
J'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre article et si vous le permettez, je corrige en puriste quelques petites fautes que l'on fait souvent en turc :
- si vous utilisez le ı sans point, alors il vous faut utiliser aussi le ğ "mouillé" (en fait presque muet) dans "oğlu" (qui signifie "le fils de").
- Idem pour çini, avec un ç qui se prononce comme le ch chinois (thé en turc, çay, et en chinois 茶 se prononcent presque pareil).
- çini signifie en fait faïence car porcelaine se dit "porselen" (vous reconnaissez là l'influence du français).
J'étais très heureux de faire votre connaissance ce soir, et espère avoir l'occasion de vous recroiser un jour en France ou en Chine. J'aurai d'ici-là fini La montagne de l'âme je l'espère.
Bien à vous,
Romain Lecler

Anonyme a dit…

(pardon pour ce nouveau commentaire mais j'ai oublié de vous dire le plus important : Orhan Pamuk s'écrit en fait avec un H - je vous conseille à propos beaucoup son livre Neige, qui est magnifique)