jeudi 7 mai 2009

Tcheng-Loh, 1925

Voici comme promis dans un précédent billet consacré à Tcheng-Loh [Chen Lu 陳籙] (1877-1939), les éléments le concernant contenus dans Figures contemporaines tirées de l'Album Mariani, volume 14 (Paris : Librairie Henri Floury, 1/05/1925) – en tout trois pages, dont une pleine page dévolue à la gravure de Henri Brauer reproduite ci dessus. Le texte serait de Joseph Uzanne. Il se présente en deux parties : une longue notice laudative, suivie d'une courte notice factuelle en caractères plus petits. Je ne reproduis pas à nouveau le texte autographe qui ventait le vin Mariani et repousse à plus tard l'identification des lieux, personnages et administrations cités sous des transcriptions que j'ai scrupuleusement respectées jusque dans leurs variations. Des sources chinoises seront alors mises à contribution pour compléter le portrait, complément qui vous réserve quelques surprises.


Il y a un peu plus de vingt ans, un jeune étudiant chinois rencontra Mme de Thèbes, la célèbre devineresse. C'était à Paris. Le jeune homme avait éclairant un visage avenant, les yeux les plus vifs. Mme de Thèbes le considéra, réfléchit et puis, avec l'assurance de la foi :
« Un jour vous quitterez Paris. Un jour vous y reviendrez. Lorsque vous partirez, ce sera vers une belle destinée. Lorsque vous reviendrez, ce sera pour voir se réaliser cette destinée. Or à Paris, ce jour-là, vous serez ministre. »
Et en effet, Tching-Loh, que le célèbre vice-roi Tchang-Tche-tong avait distingué et avait envoyé à Paris, pour suivre les cours de la Faculté de Droit, comme boursier de l'Empire, est aujourd'hui le ministre de Chine, un ministre écouté, très apprécié.
Tout en poursuivant ses études classiques : littérature, histoire, philosophie qui en feront un jour un docteur ès lettres, il entre, à quinze ans, à l'Ecole de l'Arsenal de Fou-Tchéou. En même temps que les sciences, il apprend la langue française, professée par M. Médard.
Puis il passe avec succès ses examens de licence en droit et le thèse qu'il présente, à cette occasion, lui attire les félicitations officielles du jury. La même année, le gouvernement impérial mandchou le détache auprès de S. E. Lou Tsieng-Tsiang, délégué de la Chine à la Conférence de la paix, à La Haye. Il s'y rend en qualité de secrétaire de légation.
La Révolution Chinoise le trouve directeur des Affaires politiques et le maintient dans ce haut poste. L'année suivante, il est envoyé au Mexique comme ministre plénipotentiaire de la République de Chine, puis détaché à la conférence sino-russo-mongole de Kiakta, où il se montre le plus fin diplomate. Puis il est nommé résident général de Chine à Ourga, dans la Mongolie.
Mais le rude climat de ce pays et l'immense labeur, auquel il s'est astreint depuis dix ans, le forcent à prendre du repos. Il se retire dans sa magnifique villa de Foutchéou. Quelques mois ne s'étaient pas passés que son patriotisme lui fait accepter de rentrer à Pékin en qualité de vice-ministre des Affaires étrangères.
Bientôt c'est la charge du ministre qu'il devra assumer, car S. E. Lu Tseng-tsiang part pour Paris, en qualité de délégué de la Chine à la Conférence de la Paix, et M. Tcheng-Loh devient gérant du Waichiaopou et cela durant plus de deux années. Les questions épineuses ne manquent pas, dont il se tire avec honneur : question du Chantong, du Thibet, de Fou-tchéou. Il travers avec succès les multiples crises du mouvement des étudiants. Ne sacrifiant jamais rien des intérêts supérieurs du pays, il sait se concilier l'opinion publique tout en résistant aux débordements de la démagogie. Il est un des artisans de l'annulation de l'indépendance de la Mongolie et il a la suprême joie de présider à l'acte par lequel l'immense Mongolie fait retour à la Chine, sa protectrice naturelle.
Enfin, en septembre 1920, le Dr Yon ayant été, par décret présidentiel, nommé ministre des Affaires étrangères, S. E. M. Tcheng-Loh est nommé au poste si envié de ministre de Chine en France.
Dans la chaude atmosphère d'amitié qui règne entre la Chine et la France, S. E. Tcheng-Loh ne pouvait qu'exercer le rôle le plus utile. Formé en France, ayant goûté notre culture par la fréquentation de nos auteurs, il était né pour aider au rapprochement de nos deux pays. Il existe à Paris un Institut des hautes études chinoises, à Lyon une Université franco-chinois, à Changhaï une Ecole franco-chinoise. Des centaines d'étudiants chinois viennent chaque année en France. Le terrain, certes, est bien préparé et S. E. Tcheng-Loh arrive à une heure propice où ses brillantes qualités de diplomate trouveront particulièrement leur emploi. Le talent de poète, d'historien et d'orateur de l'éminent diplomate font de lui un homme complet et charmant, aussi à l'aise dans un salon de Paris que dans une assemblée littéraire de son pays. M. Tcheng-Loh, un bienveillant ami de la France, est un fin érudit, un écrivain averti et un poète. La Chine lui doit une histoire très documentée de la Mongolie et la traduction du Code civil français. Lorsque ses hautes fonctions lui laissent quelques loisirs, M. Tcheng-Loh compose des poèmes, qui enferment toujours une grâce exquise et une haute idée philosophique.


S. E. Tcheng-Loh, ministre de Chine à paris et homme d'Etat. – Né en 1877 à Min Hsien, préfecture de Fou-tcheou, province de Fou-Kien. A quinze ans élève de l'Ecole de l'Arsenal de Fou-tchéou. Suit le cours de français de M. Médard. A dix-huit ans, il passe au collège Tche-Kiang de Woutéchang (Houpei) où il obtient le diplôme de fin d'études. Chargé de cours dans cet établissement. En 1903 vient à Paris suivre les cours de l'Ecole de Droit, comme boursier de l'Empire. Attaché à la mission mandchoue qui parcourt l'Europe pour y étudier les constitutions ; chargé de rédiger les rapports. Accompagne S. E. Lou Tsiang-tsiang à la Conférence de la Paix à La Haye (1907). Rappelé en Chine il entre au Waï Wou Pou ; co-directeur du Tchou Tsai Konan ; chef de section de Bureau chargé de la rédaction de la Constitution. Passe le concours du Ministère de l'Instruction ; reçu docteur avec le n° 2. Puis admis à l'examen impérial du Pao-Ho-Tien, il est reçu académicien. En 1910, il devient directeur des Affaires politiques, poste qu'il conserve pendnt la Révolution et sous la première république. En 1913, envoyé comme ministre plénipotentiaire au Mexique, puis détaché comme plénipotentiaire chinois à la conférence sino-russi-mongole. En 1915, résident général à Ourga (Kon-loun), démissionne au bout de deux ans. En 1918, vice-ministre des Affaires étrangères. Fait l'intérim du ministre pendant l'absence de Lou Tseng Tsiang et la Conférence de la Paix. Le 17 septembre 1920, il est nommé ministre de Chine en France. – Nombreuses études littéraires et historiques édités par le Commercial Press de Changhaï ; a publié la traduction du Lama Rouge de Ki-Yun, en collaboration avec Mme Lucie Paul-Margueritte.
Ajoutons à cette présentation les quelques lignes trouvées par Alain Rousseau dans le volume pour l'année 1924 de Qui êtes-vous ? Annuaire des contemporains. Notices biographiques (Paris : Maison Ehret. G. Ruffy, 1924, 806 p.), page 716. Non seulement, l'année de naissance est différente de celle indiquée plus haut, mais sont fournis jour et mois de naissance, ainsi que quelques indications précieuses, dont l'adresse. Voyez plutôt :

Tcheng Loh, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la République de Chine en France. 57, rue de Babylone. T.: Ségur 31-68. Epi d'or 1er rang ; Grand-officier de la Légion d'honneur ; Grand-cordon de la Couronne d'Italie. Né à Fou-Tchéou, le 22 mars 1876. Marié à Mlle Kahn. Trois filles, un fils. Educ. : Ecole supérieure en Chine ; Faculté de Droit de Paris. Œuvres : Le Lama rouge et autres contes.
Dans un second commentaire, Alain Rousseau nous faisait également remarquer que le 57, rue de Babylone n'est pas une adresse anodine. Cliquez ici et vous verrez qu'il a raison ! (P.K.)

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