samedi 11 avril 2009

Traduit du coréen (005)

La vie rêvée des plantes
de LEE Seung-U (이 승 우)

Paru en 2007, chez Zulma, dans une traduction de Choi Mikyeong (최미경) et Jean Noël Juttet, La vie rêvée des plantes (식물들의 사생활) est le deuxième livre traduit en français de Lee Seung-U. Le premier étant L’envers de la vie, (생의 이면) 2000, chez Zulma, traduction Ko Kwang-Dan (고 광단) et Jean-Noël Juttet.

Le titre de l’éditeur La vie rêvée des plantes, clin d’œil sans doute au film presque éponyme La vie rêvée des anges, a été préféré au titre des traducteurs, pourtant plus littéraire, La vie intime des plantes.

Il y a tout d'abord, au début, Kihyeon ce frère jaloux de Huyeon, photographe heureux et amoureux de la belle Sunmi, qui lui chante toujours la même chanson lancinante, en s'accompagnant à la guitare.

Kihyeon, ne parvenant pas à se faufiler au milieu de la relation amoureuse de son frère, quitte la maison familiale et dérobe, en partant, l'appareil photographique de son frère, pour le revendre à un magasin d'occasion, à Séoul. Mais dans l'appareil, la pellicule est restée. Et sur cette pellicule, défile l'histoire contemporaine de la Corée, car le photographe Huyeon n’est passionné que par le reportage « il prenait des clichés sous l'angle de la morale, il leur voulait une fonction militante » dira plus tard son frère.

Mais la dictature est là et la police partout rôde. Une descente dans le magasin photo, une saisie de l'appareil et de la pellicule, et Huyeon est emprisonné puis enrôlé de force dans l'armée. Au cours d'une manœuvre, une grenade explose à proximité. Huyeon a les deux jambes sectionnées. Il revient chez lui et avec lui l'enfer d’une vie gâchée. Même la belle Sunmi ne peut plus rien pour lui.

Dans la demeure familiale, l’apparente banalité de la vie est remplacée par la détresse de Hueyeon et le départ de Kihyeon. Il reste le père, asphyxié par la vie, qui regarde toute la journée la télévision retransmettre d'interminables parties de Go. Il est le seul à savoir parler aux plantes. Reste aussi la mère, comme la plupart des femmes coréennes, une mère courage, qui va jusqu’à transporter son fils infirme sur son dos, pour l'accompagner au bordel et lui éviter les crises de démence, au cours desquelles il déborde d’une vigueur sexuelle incontrôlable.

Kyhyeon, honteux décide alors de revenir et de consacrer sa vie entière à réparer sa faute. Il offre à son frère un nouvel appareil qui restera, une bonne partie du temps sur l'étagère de sa chambre. Huyeon n'a plus le goût à la photographie, car il ne trouve plus d’autres fonctions à la photographie que la fonction documentaire et réaliste qu’il lui accordait avant son accident. Il ne trouve pas le ressort esthétique de la photographie. A quoi sert le « beau » dans un pays au régime autoritaire.

Pour Kyhyeon, le temps de la repentance est arrivé en même temps qu'une enquête qu'il va mener sur sa propre mère, enquête financée par un mystérieux commanditaire. A son tour, il va s’occuper de son frère et se substituer à la mère dans l’ingrate tâche de lui trouver, préventivement à chaque crise, une fille pour quelques instants.

La présence chaste de Sunmi remplit de poésie la lugubre maison et bientôt Kyhyeon va tomber amoureux d'elle et se mettre à détester ce frère à qui Sunmi reste fidèle. Commence alors, pour chacun des protagonistes, une quête aux itinéraires multiples et aux résultats surprenants, dont la découverte de l'amant de la mère, son véritable amour.

La vie rêvée des plantes est un roman coréen assez inhabituel, au sens où il privilégie davantage les situations psychologiques et les interactions qu’elles peuvent avoir entre elles. Les problèmes existentiels se règlent à coups de symboles, particulièrement les symboles de plantes et d’arbres, dont plusieurs espèces parcourent l’histoire. La forêt de Lee Sang U accorde aux arbres communs ou arbres rares à l’abri desquels les personnages peuvent rêver, exhumer des profondeurs de l’inconscient, ce qui se joue à l’abri des regards et qu’aucun d’entre eux ne peut mettre en mots. Comme ce père qui a commandité l’enquête et qui établit le lien entre le monde humain et le monde végétal.

Roman coréen ? Assurément dès lors que l’histoire politique de la Corée sert d’arrière plan au roman, mais une Corée effacée, toutes en nuances, teintes au pastel, des couleurs puisées dans la connaissance de la culture occidentale de l’auteur.

Dans ce roman, le point de vue adopté est celui de Kyhyeon. C’est aussi le point de vue de la culpabilité et du désir de rachat. Il traverse tout le roman et nous fait penser à toutes les formes de culpabilité éprouvées par les Coréens, aux périodes critiques de leur histoire. C’est aussi le geste le plus significatif de Kyhyeon, lorsqu’il offre un appareil photo à son frère, pour photographier le beau, après la laideur de la période politique et prouve que l’esthétique, le sens du beau sont encore possibles après l’horreur. :

« Au fait, en regardant tes photos, je me disais qu’il y manquait quelque chose. Je ne savais pas quoi au juste, mais maintenant je sais, il y manquait les fleurs, les arbres, les nuages, la mer. J’étais d’accord avec toi en général, mais j’aurais bien aimé que tu te places du point de vue du sens et de l’imagination et pas seulement du point de vue de l’éthique… reprends ton appareil, regarde à nouveau le monde à travers l’objectif. Sers t-en pour nous montrer que le monde est beau. Comme cela, je me sentirais un peu moins coupable. Fais comme je te dis, fais le pour moi, s’il te plaît ». Pathétique supplique du coupable et invocation faite à la victime de nous montrer encore les raisons d’espérer dans une autre recherche des formes esthétiques.

Et ce roman le prouve, dans l’art d’écrire. D’un abord facilité par la qualité de la traduction, l’intrigue s’étire et serpente au milieu des symboles issus de la mythologie gréco-romaine, plutôt que de la mythologie coréenne, étrangement absente d’ailleurs. L’intrigue passe régulièrement au second plan. De l’enquête mystérieuse qui est menée, on ne sait presque rien, tout au long du roman. Lee Sang-U préfère une narration plus conceptuelle, plus évocatrice que descriptive. Dans une littérature romanesque mondialisée où sont souvent privilégiées les peintures de personnages et de caractères, les descriptions de situations, l’intrigue, Lee Sang-U s’échappe de cet étroit corset, même s’il reconnait qu’il faut que son écriture abstraite évolue « mais ce n’est pas facile », avoue t-il dans le même temps.

Lee Seung-U, né en 1959 dans le sud de la Corée, a débuté sa carrière grâce à une expérience religieuse qui le mènera vers des études de théologie, abandonnées quelques temps après, au profit de l’écriture. Ce passionné de culture occidentale se réfère plus souvent à Dostoïevski, Kafka ou Gide plutôt qu’aux auteurs coréens. Dans une interview donnée à la revue Littérature.com, Lee Seung U ne cache pas son statut de professeur à l’université, titulaire d’un cours de littérature et d’un autre cours « L’art d’écrire », l’équivalent coréen de nos ateliers d’écriture.

C’est un rapport étrange que l’on peut entretenir avec La vie rêvée des plantes. Des personnages qui deviennent vite familiers, une intrigue qui se déroule mollement sans grands bouleversements ni rebondissements et des situations que l’on peut définir par des procédés de « relief en creux ». Ajouté à cela, une vraie qualité d’écriture, parfaitement restituée par la traduction et vous avez quelques recettes simples du plaisir de lire.

Hye Gyeong Kim et Jean-Claude de Crescenzo


vendredi 10 avril 2009

De blog en blog (05)

Vous le savez déjà depuis le 11 février dernier, grâce à un billet intitulé « Les habits neufs de Leo2T », le site de notre équipe a revêtu ses nouveaux atours. Depuis peu, ils sont visibles dès la page d'accueil de notre université, savoir dans le bandeau défilant appelé « Fenêtres sur l'UP » qui permet de prendre la mesure de la richesse des sites et des blogs des diverses formations et équipes de recherche de l'Université de Provence, et, par la même occasion, d'accéder d'un seul clic de souris à ces nombreuses dépendances. Nous y apparaissons de la manière reproduite ci-dessus, en tête de liste, à la sixième position.

Pour nous le changement avait été motivé par la mise en conformité de notre image avec la nouvelle physionomie et le nouveau nom de notre équipe anciennement « Littérature chinoise et traduction » (les nostalgiques peuvent encore se rafraîchir la mémoire avec une vue de notre ancien bandeau). Malheureusement, ces modifications n'ont pas encore produit d'effets notables sur le contenu de notre site : nous allons devoir y travailler d'arrache-pied.


Pour ce qui est du site du Service Commun de la Documentation – Bibliothèques de l'Université, les modifications apportées ne sont pas que de façade. Si elle affirme d'emblée l'appartenance de ce site à la famille des sites de l'Université de Provence, la nouvelle interface facilite grandement l'utilisation à distance de cet outil indispensable autant à l'étudiant, qu'à l'enseignant et au chercheur. La qualité du travail réalisé par les équipes qui ont œuvré sur cette refonte est particulièrement remarquable, vous en rendrez compte très rapidement. De plus, un accès direct au catalogue figure sur la page d'accueil ; un lien permet aussi de s'abonner à une lettre d'information dont les numéros déjà parus sont tous téléchargeables : je vous recommande le bulletin n° 5 dans lequel Jean-Luc Bidaux propose un « Retour sur … Gao Xingjian à la BU d'Aix (2 et 3 avril 2008) ». Autre nouveauté notable, une fenêtre de la colonne de gauche fait défiler les dernières actualités.

L'une d'entre elles mérite toute notre attention car elle concerne la création d'un blog, Blog'UP, dont la vocation est affirmé dans son premier billet publié daté du 3 avril 2009 :
« Ce blog, nous l’espérons, vous permettra d’être plus au courant de ce qui se passe dans nos bibliothèques. Nous voulons construire avec vous un outil réactif, convivial et participatif (puisque nous vous invitons à nous laisser des commentaires !), un outil qui mette en valeur le travail que nous faisons et qui, surtout, vous aide à gagner un temps précieux dans vos recherches. »
Souhaitons le meilleur à cette excellente initiative dont on sait quelle est coûteuse en temps et en énergie. Merci donc à ceux qui sacrifient de leur temps pour nous en faire gagner.


« Faire gagner du temps » à autrui n'est déjà pas une opération très simple, « rattraper le temps perdu » en est une encore plus périlleuse. C'est pourtant ce fol espoir qui m'a poussé à créer les deux blogs dont il va être question maintenant.

Les circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous nous trouvons depuis une dizaine de semaines s'avèrent, in fine, un excellent stimulant pour concrétiser un projet en gestation : je tiens, de ce point de vue, à remercier les services du Pôle TICE et notamment Mlle Lucie Fayolle pour leur implication, leur disponibilité et leur savoir faire. Or donc, voici deux blogs qui vont remplacer, un peu dans l'urgence, mon ancien site internet que je ne suis plus en mesure d'entretenir pour des raisons techniques ; ils vont également me permettre de mieux séparer les deux pans de mon activité, celle de chercheur d'une part, avec un site personnel qui devra s'adapter d'ici le début du mois de juillet à de nouvelles données techniques, et d'autre part, celle d'enseignant du Département d'Etudes Asiatiques d'UP.

C'est ainsi que le premier blog, « Pik UP Licence » (y accéder en cliquant sur le bandeau ci-dessus), s'adresse principalement aux étudiants de niveau licence ainsi qu'à ceux, de plus en plus nombreux, qui s'inscrivent au Diplôme universitaire de chinois, et traitera en priorité des cours de culture chinoise ancienne (histoire, littérature ancienne, système des examens) de première et deuxième années, alors que le second blog, « Pik UP Master » (y accéder en cliquant sur le bandeau ci-dessous), est entièrement dédié aux étudiants de niveau Master : ce versant sera sans doute encore plus propice que le précédent à accueillir des contributions autres que les miennes. Je compte, en effet, sur l'implication de ces apprentis chercheurs qui pourront y présenter les résumés des mémoires qu'ils préparent dans le cadre de ce diplôme, voire plus, s'ils en ont la volonté.

Inévitablement, les billets qu'on y trouvera intègreront des renvois vers mes contributions au blog de l'équipe qui, vous l'avez sans doute noté, s'est considérablement étoffé ces derniers temps avec pas moins de 20 billets pour le seul mois de mars - un grand merci à ceux qui ont ainsi permis de dépasser de deux billets le précédent record des 18 billets du mois de novembre 2007 -, ce qui porte à 275 le nombre de billets publiés depuis son ouverture en novembre 2006, et à quelque 44000 le nombre de visites reçues, la plupart de France ou de pays francophones, mais aussi, dans une proportion de plus en plus grande, des lointaines contrées (Chine, Taiwan, Japon, Vietnam, Corée, Thaïlande, Inde) de cet Asie qui nous réunit.


Avant conclure cette revue des nouveautés printanières, je voudrais vous signaler deux adresses à ne pas négliger tant elles remplissent bien la fonction principale qu'on attend d'un blog de cette nature. Il s'agit d'Electrodoc et des Actualités scientifiques du CECMC.

L'année dernière, je vous avais déjà signalé l'existence d'Electrodoc, blog de l'EHESS tenu par Jacqueline Nivard. Toujours aussi prompt à rendre compte de l'activité de la recherche sinologique, ce blog vient de changer de présentation et a fait évoluer la deuxième partie de son intitulé en « Chine-Occident : veille documentaire ». On le retrouve avec un grand plaisir sous le bandeau ci-dessous.

Un menu copieux vous y attend. Voyez plutôt à titre d'exemple : l'annonce du 24 mars 2009 d'une conférence de Viviane Alleton, directrice d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, sur « L'apparition des idéogrammes », conférence donnée à la Cité de Sciences, le 28 janvier 2009 ; le 3 mars 2009, était annoncé la mise en ligne de plusieurs articles de chercheurs du CECMC sur le site de l’AFEC (Association française d’études chinoises) ; le 24 mars, on apprenait que « La revue Études Mongoles fondée en 1970 par Roberte Hamayon, [était] maintenant disponible sur la base de données Revues.org. » ; le 21 février, on lisait que « Dans le but d’élargir son audience, l’Association of Asian Studies propose le téléchargement gratuit de certains articles de sa revue Journal of Asian Studies sur le site de Cambridge Journals » ; le 29 décembre 2008, on était averti que « Le Centre pour l’édition électronique ouverte va accompagner la mise en ligne de vingt-deux nouvelles revues acceptées par le comité de rédaction depuis la rentrée. Parmi les nouvelles revues, il y a Extrême-Orient Extrême-Occident. Perpectives chinoises et sa version en anglais China perspectives étaient déjà présentes sur le portail. », ... Est-il besoin d'en rajouter pour vous prouver qu'on ne peut se passer d'Electrodoc et qu'il est impératif de s'abonner sans tarder à ses fils RSS.

Le même jugement pourrait être porté sur l'autre blog tenu par Jacqueline Nivard - Actualités scientifiques du CECMC - mais cette fois, je vous laisse tout loisir de le parcourir vous-même après vous avoir dit que CECMC veut dire Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine. Le CECMC a aussi sa page d'actualités et, bien entendu, son site, site dont la responsable n'est autre que Jacqueline Nivard !

Je suis d'autant plus heureux d'insister sur ce point qui n'est pas un détail, que j'ai pour cette webmistress infatigable une très grande reconnaissance pour m'avoir prodigué des encouragements pour ce blog qui, de plus, se trouve en bonne place dans les liens permanents d'Electrodoc, mais aussi une indéfectible admiration pour une des premières à s'être intéressée à l'internet en Chine, et avoir senti l'importance que cet outil prendrait pour la recherche sinologique. Il n'est que de relire son « Chine et internet. Comment constituer une bibliographie ? » paru dans la Revue bibliographique de sinologie en 2002 (pp. 21-42) qui avait été précédé dans le volume de l'année 1997 de la même défunte revue dont l'absence se fait, me semble-t-il terriblement sentir, d'un non moins pertinent « Chine sur Internet. L'apport de l'Internet Guide for China Studies » (pp. 29-33).

On peut aussi relire aujourd'hui avec attention et admiration l'article que Danielle Elisseeff donna au même RBS 2002, « La sinologie et le web. Outils d'aujourd'hui, outils de demain » (pp. 3-20). En voici le dernier paragraphe : « Cependant, sur un plan technique, tout est possible, ou presque ; c'est à l'expert du champ d'étude concerné qu'il appartient de marquer des limites, de définir des projets. En un mot, il faut que chacun garde son métier : sinologues, exprimez vos souhaits ; aujourd'hui ou demain, les mathématiciens-informaticiens les réaliseront pour vous offrir les outils dont vous rêvez, mais qui a jamais prétendu que rêver était simple ? ». Rêvons donc les yeux grands ouverts. (P.K.)

jeudi 9 avril 2009

In memoriam Henri Meschonnic

Je viens d'apprendre, grâce au billet que lui a consacré aujourd'hui 9 avril 2009, Pierre Assouline dans sa République des livres, la triste nouvelle de la disparition d'Henri Meschonnic qui vient de mourir à l'âge de 77 ans. Pour saluer le « théoricien du langage et de la littérature, traducteur, poète » (Fabula.org), cet « esprit rare » (P. Assouline) dont l'œuvre va continuer de rayonner encore longtemps, je reproduis ci-dessous un court passage de son « Introduction », à Poétique du traduire (Paris : Verdier, 1999, p. 85).



Henri MESCHONNIC

(18 septembre 1932 – 8 avril 2009)

« S’il n’y a pas, selon chaque œuvre, une modification corrélative dans le traduire, il y a ce qu’on peut définir comme la mauvaise traduction. La bonne est celle qui fait ce que fait le texte, non seulement dans sa fonction sociale de représentation (la littérature), mais dans son fonctionnement sémiotique et sémantique. Ainsi les critères de bon ou du mauvais ne sont plus des critères simplement philologiques définis par la bonne connaissance de la langue : [Jacques] Amyot [(1514-1593)] et Beaudelaire ont fait des fautes, mais leur traduction est bonne. Une traduction sans faute peut être mauvaise. Les critères ne sont plus des critères subjectifs, esthétiques, l’accomplissement d’un programme idéologique, des goûts d’un individu, d’un groupe, d’un moment. Ce sont les critères pragmatiques de la réussite historique, c’est-à-dire la durée, qui n’est rien d’autre qu’un fonctionnement textuel, une activité discursive de relais. Les exemples ne sont pas si rares. Les traductions mauvaises sont certainement plus nombreuses, comme les mauvais livres plus nombreux que les bons. Mais les bonnes sont exemplaires en ceci que, contrairement au caractère périssable donné pour inhérent à la traduction - comme si la traduction était dans son essence identifiée à la mauvaise traduction - elles montrent que la traduction réussie ne se refait pas. Elle a l’historicité des œuvres originales. Elle reste un texte malgré et avec son vieillissement. Les traductions sont alors des œuvres - une écriture - et font parties des œuvres. Qu’on puisse parler du Poe de Beaudelaire et de celui de Mallarmé montre que la traduction réussie est une écriture, non une transparence anonyme, l’effacement et la modestie du traducteur que préconise l’enseignement des professionnels. »

mercredi 8 avril 2009

Le Tao du web

C'est sous ce titre que Rebecca MacKinnon a récemment présenté une conférence au Berkman Center for Internet & Society (Harvard University). Pour être plus précis, le titre de son intervention était « The Tao of the Web: China and the Future of the Internet ».

Si vous êtes intéressé par les développements de l'internet en Chine, je vous conseille vivement de regarder les 53 mm du document vidéo accessible à partir de cette dépendance de l'Université de Harvard. Voici ce dont il y était question ce 3 mars 2009 :
« Most English-language discussions about « the future of the Internet » approach the subject from an Anglo-American and European perspective. But what if you take China - now with the world's largest number of Internet users, fast-growing technology sector, and a strong voice in global Internet governance debates - as your starting point for thinking about where the global Internet is headed? What are the implications for global free expression? Rebecca MacKinnon explores these questions and others in this lunch series. »
L'exposé de Rebecca MacKinnon, abondamment et pertinemment illustré, réactualise avantageusement certaines données et ouvrira de nouvelles perspectives aux plus blasés des surfeurs sinophiles. Il faut dire que nul autre ne semble mieux placer qu'elle pour aborder aussi clairement ce sujet et présenter aussi finement ses implications actuelles et futures. Pour l'heure assistant professor au Journalism and Media Studies Centre de l'University of Hong Kong, Miss MacKinnon, qui a eu jusqu'à présent une vie professionnelle et académique brillante, est également la co-fondatrice avec Ethan Zuckerman du site internet Global Voices.

Depuis 2005, Global Voices a pour vocation d'aider « individuals and media professionals around the world [to] gain access to the diverse voices coming from citizen media. [Global Voices ] base [its] coverage on the words, images, and videos of ordinary people across the globe who use the internet to communicate and broadcast their thoughts, analysis, and observations. » C'est devenu un passage obligé pour qui s'intéresse à ce qui se passe en Asie ou dans le reste du monde online. On peut lire ce qu'y propose une communauté de bénévoles en 17 langues dont le français. On peut même apporter son soutien à cette entreprise devenue indispensable.

Jugez-en par vous-même en consultant le dernier billet en anglais publié sur la Chine. On le doit à Owan Lam : « Psychiatry with Chinese characteristics ». Pour le français, c'est « Le communiqué franco-chinois au G20, une glorieuse défaite ? » qui est la traduction française par Suzanne Lehn (5/04/09), du billet anglais « China-France communiqué and G20, a glorious defeat ? » de Bob Chen (3/04/09). De lui, je vous recommande également un billet très différent publié le 9 mars : « Most wanted fugitive now blogging ? » (9/03/09). Incredible. (P.K.)


dimanche 5 avril 2009

Devinette (020)

Emblème de charge administrative chinoise de niveau 2A
sous la dynastie Qing 清 (1644-1911) [Source].


Le texte suivant, baptisé « Une tradition », est, sachez-le, une traduction réalisée directement à partir d'une langue orientale. Je vous le livre dans sa totalité et vous invite à trouver son auteur, ainsi que le nom de l'œuvre dont il est tiré, et, pour les plus intrépides d'entre vous, le traducteur :
A Oulumutsy, ma fonction était de délivrer et de viser les passeports des morts qu'on transportait d'Oulumutsy dans l'intérieur de la Chine. Sans passeport, l'âme des morts n'aurait pas pu franchir la grande muraille.
Cette tradition, imposée par je ne sais qui et datant de je ne sais quand, me parut si ridicule que j'obtins du Gouverneur Militaire l'autorisation de la supprimer. Tout le monde m'approuva. Dix jours plus tard, le bruit courut que les esprits gémissaient dans la ville. J'en augurai que les petits fonctionnaires inventaient des histoires pour ne pas renoncer au bénéfice des passeports et je ne tins pas compte de l'avertissement. Mais un soir de pleine lune et de nuit claire, me promenant dans le jardin, avec mon ami Koun, exilé comme moi, j'entendis devant la fenêtre de ma chambre d'étranges rumeurs qui semblaient s'éloigner à mesure que nous avancions. Mon ami me dit :
« Votre décision est certes raisonnable, mais l'incident de ce soir me paraît significatif. Reprenez la vieille tradition et délivrez de nouveau les passeports. Je crois que les esprits ne vous importuneront plus. »
Je suivis dès le lendemain le conseil de mon ami. Et à dater de ce jour, on n'entendit plus gémir dans la ville ni hors de la ville.
Je m'engage à vous livrer la solution très prochainement. Degré de difficulté : élevé pour tous, évident pour une petite poignée de savants qui peuvent néanmoins répondre en livrant des indices complémentaires mais sans dévoiler la solution à cette vingtième devinette. Bonne chance. (P.K.)