mardi 30 juin 2009

Une rencontre avec Mo Yan

Notre équipe a eu le privilège de participer à une rencontre avec l’écrivain Mo Yan organisée par l’association Les Écritures Croisées à la Cité du Livre d’Aix-en-Provence, le jeudi 25 juin 2009, à l’occasion de sa venue en France pour la sortie de son prochain livre La Dure Loi du karma (parution fin août, éditions du Seuil). J’avais le plaisir d’interroger Mo Yan tandis que Philippe Che assurait la traduction pour le public. L’assistance très fournie comptait bon nombre d’étudiants de chinois de l’université de Provence ainsi que des étudiants chinois.

Après avoir présenté brièvement Mo Yan, je lui ai demandé si les romanciers sont des menteurs puisque dans Quarante et un coups de canon, il écrit que le narrateur, l’« enfant-canon » 炮孩子, c’est à la fois lui-même et un enfant qui raconte des mensonges. Effectivement, a répondu Mo Yan, le romancier a besoin de raconter des « mensonges » pour mieux révéler la réalité. Pour exemple, l’intrigue de ce roman part d’une réalité très simple : le trafic de la viande dans laquelle on injecte de l’eau afin d’en accroître le poids et donc d’enrichir les paysans qui la vendent, mais on y trouve aussi bien d’autres choses qui sont très éloignées de la réalité : l’existence d’un dieu de la viande, complètement inventé, qui vient s’ajouter à un panthéon chinois déjà foisonnant, ou encore des histoires de viandes qui parlent et s’adressent directement à l’enfant.

Mo Yan a précisé que ce terme d’« enfant-canon » n’est pas forcément péjoratif. Dans son village, on avait beaucoup d’admiration pour ce genre d’enfants. Et de rappeler que sa grand-mère s’inquiétait de le voir incapable de tenir sa langue et lui conseillait sans cesse de « ne pas parler » (en chinois : mo yan 莫言), une expression qu’il prendrait comme nom de plume, sans toutefois qu’il arrête de parler, et même au contraire en parlant sans cesse à travers ses romans et ses entretiens aux quatre coins de la planète.

À la question de savoir comment il écrit, Mo Yan a expliqué que pendant une période il avait utilisé l’ordinateur, mais qu’à présent, il était revenu à l’écriture à la main parce qu’il était perturbé par le recours à la transcription pinyin des caractères chinois pour la saisie… et aussi par l’envie constante d’aller faire un tour sur la toile. De la sorte, il peut se concentrer au maximum, travaillant jour et nuit en oubliant presque de boire et manger, pour écrire, un acte très physique puisque, lorsqu’il écrit, sa femme lui rapporte entendre ses soufflements et ses tremblements depuis la pièce voisine. Il a cependant reconnu que le même genre de concentration pouvait être atteint par de jeunes écrivains plus rodés que lui à l’utilisation du traitement de texte.

Je lui ai ensuite demandé s’il pensait que l’écrivain devait se concentrer sur sa création littéraire ou s’engager dans la société. Selon lui, les deux situations peuvent exister. Lui-même se sent entre les deux puisqu’il s’engage dans la société dont il dénonce souvent les aspects négatifs dans ses romans, mais il reste solitaire dans cette action. Et un écrivain n’est pas un journaliste, c’est le travail littéraire de création qui prime.

Dans un entretien réalisé par Aurélie Le Caignec dans La Provence, il explique : « En Chine on ne manque pas d’écrivains qui font la gloire du Parti, mais il en faut aussi d’autres qui révèlent les aspects moins brillants de la société. » Il y rappelle aussi comment le réalisme magique découvert à la lecture de Garcia Marquez dans les années 1980 lui a permis d’aborder des sujets sensibles de manière détournée. Par exemple, la corruption des hauts cadres dans Le Pays de l’alcool ou le trafic de la viande dans Quarante et un coups de canon. Pour son prochain roman qu’il est en train d’achever, Mo Yan va aussi aborder des problèmes sociaux brûlants (la planification des naissances notamment) et affirme écrire dans un style très différent… comme il le fait pour chaque nouveau roman.

Grâce au talent d’Alain Simon, du Théâtre des Ateliers, le public ravi a pu apprécier le style incomparable de Mo Yan, qui se prête si bien à la lecture à haute voix, dans des extraits de Quarante et un coups de canon et La Dure Loi du karma.

Cette soirée avec Mo Yan constituait une sorte d’avant-première à la Fête du Livre consacrée aux écrivains asiatiques que l’association Les Écritures Croisées organisera du 15 au 18 octobre prochain à la Cité du Livre d’Aix-en-Provence, en collaboration avec notre équipe, en parallèle au colloque « Le roman asiatique et ses traductions ». (Noël Dutrait)

En guise de séance de rattrapage pour ceux qui, comme moi, n'ont pu profiter de cette rencontre, voici une vidéo (en chinois sous-titrée en chinois et en japonais) de 4mn53s. réalisée récemment au Japon et dans laquelle Mo Yan parle justement de Shēngsǐ píláo 生死疲劳 bientôt accessible en traduction française grâce à Chantal Chen-Andro (La Dure Loi du Karma, Le Seuil), et en lit des extraits. (P.K.)

lundi 29 juin 2009

50 000 visites, et moi, et moi

Au cours d'une année universitaire dont le second semestre fut, pour le moins, aussi éprouvant que perturbé, notre blog a tenté de vous faire partager les moments forts de la vie de notre équipe et, chemin faisant, s'est penché sur la riche actualité qui entoure les sujets qui nous passionnent.

Mais malgré la volonté qui m'a animé pendant ces douze derniers mois
, c'est une centaine de billets à peine qui a été mise en ligne ---- alors qu'il en aurait fallu le double ou le triple pour rendre compte de la vitalité des littératures d'Extrême-Orient sur leur terre d'origine et dans l'espace francophone ! Quoi qu'il en soit, cette piètre performance reste, vues les circonstances, assez honorable et je suis heureux de vous signaler qu'un moment symbolique dans la vie de ce blog vient, tout juste, d'être franchi. Cela s'est passé le dimanche 28 juin, vers 17 h. : le compteur de visites qui l'accompagne depuis presque sa naissance vient de dépasser le chiffre des 50 000 visites !

Je tiens donc à remercier tous ceux qui sont venus à un moment ou un autre, ou plus régulièrement, flâner sur ce blog pour y lire, ou simplement parcourir, les quelque 300 billets publiés depuis son ouverture le 18 novembre 2006. Un grand merci aussi à tous ceux, encore trop peu nombreux, qui ont laissé une trace de leur passage en composant un commentaire ; merci, enfin, à ceux qui, membres de l'équipe ou collaborateurs occasionnels, ont apporté leur contribution à l'enrichissement de cette tribune sur les littératures d'Extrême-Orient.

Ce présent billet ne sera pas le dernier de l'été, mais, le rythme de publication sera, cette année comme la précédente, inversement proportionnel à l'augmentation des températures. Mais, rassurez-vous, s'il montre des signes d'assoupissement, ce n'est que pour mieux repartir en septembre avec une nouvelle année studieuse qui débutera par un colloque international (« Le roman en Asie et ses traductions », 15 et 16 octobre) organisé par notre équipe pendant la Fête du Livre d'Aix-en-Provence (15-18 octobre).


Mais, en attendant ce grand rendez-vous, les prescriptions de lectures estivales traditionnelles, et, qui sait, quelques critiques de livres promises de longue date, voici un texte que signa en 1880, Camille Imbault-Huart (1857-1897), pionnier de la traduction de Pu Songling 蒲松齡 (1640-1715) en français et découvreur, entre autres, de l'œuvre de Yuan Mei 袁枚 (1716-1798), pour introduire une série baptisées « Miscellanées chinois » :

Nous avons le dessein de publier, sous le titre de Miscellanées chinois, toute une série de morceaux variés, extraits des auteurs chinois et traduits pour la première fois en français, ou, disons mieux, en une langue européenne. Nous puiserons tour à tour dans la haute littérature comme dans la littérature populaire, dans l'histoire, la morale, la philosophie, la biographie, la bibliographie, les contes, les nouvelles, les pièces de théâtre, la poésie, les journaux : bref, nous passerons à chaque instant du grave au plaisant, de l'utile à l'agréable. Ce sera, pour ainsi dire, que l'on nous pardonne l'expression, la littérature chinois débitée en détail. Mais nous ne nous arrêterons pas là : notre hôtellerie étant ouverte à tous les voyageurs, quels qu'ils soient, y trouveront bon accueil et bon gîte. A ces traductions, nous joindrons des articles sur toutes sortes de sujets, variés au possible, sur les mœurs et les usages, sur l'histoire contemporaine ou ancienne, sur le gouvernement, sur l'état actuel ou passé de l'empire chinois ; en un mot, des articles écrits en Chine mêle currente calamo, sans prétention littéraire aucune ni partialité, uniquement pour faire connaître mieux, et sous des aspects nouveaux, cet immense colosse asiatique et la population étrange qui l'habite. Heureux si, au moins en partie, nous pouvons y réussir. [Journal Asiatique. Août-septembre 1880, p. 270]

Voilà qui s'apparente par bien des aspects à ce que nous tentons de faire ici et dans les publications que nous mettrons finalement en ligne à la rentrée. Bonnes vacances à toutes et tous. (P.K.)