mardi 8 décembre 2009

Sous les dorures du Roi Soleil

Illustration tirée de China Monumentis (A. Kircher, 1667, p. 233).

Les 4 et 5 décembre 2009, j'ai eu l'opportunité d'assister au colloque organisé, à la Bibliothèque de Versailles, par la Société d’études des Pratiques et Théories en Traduction (SEPTET - Université de Strasbourg) et l’équipe Histoire des Traductions en Langue Française (HTLF - Université de Paris IV-Sorbonne) sur le thème « Les relations internationales à travers les traductions françaises au siècle de Louis XIV ».

Les interventions, toutes aussi intéressantes les unes que les autres, ont exploré un vaste espace allant de l'Espagne à la Chine, offrant un tableau de l'évolution de la traduction des langues étrangères en France, en particulier, à l’époque de Louis XIV, époque à laquelle la langue de traduction est passée du latin au français, autant pour les textes en provenance d’Europe, que ceux venant de pays lointains comme la Chine. Trois communications abordaient justement la Chine

(Cliché Huang Chunli - De gauche à droite :
Isabelle Landry-Deron - Nathalie Monnet - Véronique Alexandre Journeau)

  • En s’appuyant sur de nombreuses illustrations de précieux manuscrits, Nathalie Monnet (Bibliothèque nationale de France) a montré comment les missionnaires, mais pas uniquement eux, étudiaient et traduisaient les textes chinois depuis Paris, sous le règne de Louis XIV. En effet, l'intérêt pour la Chine s'est développé plus tardivement en France que dans d'autres pays d'Europe. C'est en fait Louis XIV qui a donné l'impulsion déterminante de ce mouvement en finançant l'envoie en Chine de Jésuites français qui avaient, entre autres missions, celle de lui expédier des livres chinois. Le roi apporta également son appui financier à la publication à Paris d'une importante traduction des œuvres du corpus confucéen. C'est notamment sous son règne que fut engagé un Chinois - Huang Jialüe 黃嘉略 ou Arcade Huang (voir Danielle Elisseeff, Moi, arcade, interprète chinois du roi-soleil. Arthaud, 191 p.] -, comme catalogueur des 68 livres en langue chinoise de la Bibliothèque Royale. Quelques traductions plurilingues (mandchou, mandarin et français) des XVIIe et XVIIIe siècle, ainsi que quelques ébauches de traductions de textes, ou encore quelques outils (dictionnaire, grammaire, manuel de prononciation, traductions décortiquées montrant le passage d'une langue à l'autre, guidés de conversation) destinés à créer les conditions de l'étude et de la traduction du chinois à Paris ont été rapidement présentés. Ces premiers essais témoignent de la volonté de créer une sinologie laïque destinée à faire contrepoids à la domination écrasante des Jésuites, qui plaçaient la littérature chinoise au service des intérêts de leur congrégation. Nous avons pu constater que les difficultés pour apprendre et traduire la langue chinoise ont peu évolué depuis cette époque. Les anciens avaient autant de mal que nos contemporains pour l'apprentissage du chinois et la traduction.
  • Véronique Alexandre Journeau (Réseau Asie-Imasie, CNRS/FMSH) intervient sur les première traductions du chinois vers le français sous Louis XIV : le cas de l'inscription nestorienne de Si-Ngan-Fou. La découverte, en 1625, d'une stèle à Xi'an portant une double inscription en syriaque et en chinois célébrant la religion venue d'Occident a suscité nombre de traductions à l'époque et ultérieurement (notamment pour l'anglais) : « Du chinois vers le portugais, du portugais en italien, d'italien en latin et enfin du latin en français » comme indiqué dans La Chine d'Athanase Kircher (1602-1680). Cet ouvrage, paru en 1670 en français, présente le texte en langues originales et sa traduction. Au-dessus du texte français, la présence des termes chinois rend visible la concision de la langue chinoise ainsi que les inévitables biais d'interprétation résultant de la connaissance approximative à l'époque de la langue et de la civilisation chinoises. L'annexe de l'ouvrage est, en outre constituée d'un lexique chinois-français, peut-être le premier du genre, classé par termes génétiques et expressions dérivées, mais le chinois n'y est présent que sous la forme d'une transcription, romanisation de l'époque qui ne cessera d'évoluer par la suite. L'approche par la traductologie proposée dans cette communication porte sur la démarche du traducteur de l'époque avec mise en perspective de deux traductions ultérieures en français dont celle de Paul Pelliot (1878-1945) qui fit lui-même un commentaire critique des traductions antérieures à la sienne.
  • Isabelle Landry-Deron (CECMC, EHESS) a abordé le corpus de traduction du chinois en français dans la Description de la Chine de J.-B. Du Halde (1735). Ce document essentiel dans la connaissance de la Chine au XVIIIe siècle publié par la mission jésuite de Pékin a figuré pendant un siècle et demi dans la bibliothèque de l'honnête homme. Il comporte une vingtaine de traductions du chinois en français qui ont contribué à conférer à l'ouvrage son statut de référence incontournable jusqu'à la fin du XIXème siècle. La critique moderne récuse généralement ce qualificatif de traduction. Cela permet de mieux comprendre la perception de la Chine par les élites de l'époque. (Voir son livre La Preuve par la Chine. La « Description » de la Chine de J.-B. Du Halde (1735). Paris : Editions de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 2002, 428 p.)
(Huang Chunli)