jeudi 26 mai 2011

Ombres éclectiques

Comme annoncé dans un billet précédent, en même temps que les films du monde se disputaient la Palme d’Or à Cannes, un colloque sur le cinéma chinois - Les ombres éclectiques - a levé son rideau à l’Université Paul-Valéry (Montpellier III). Durant trois jours (19-21 mai 2011), dix-huit participants de différents domaines se sont réunis pour évoquer le cinéma chinois. Quel que soit leur rapport avec le septième art, qu’ils soient réalisateurs, professeurs, doctorants ou spécialistes, leurs interventions ont été aussi diverses qu’intéressantes.

En guise d’ouverture de ce colloque, les réalisateurs Hu Wei 胡伟 et Li Junhu 李军虎 nous ont présenté leurs films. Les projections ont été suivies d’un échange direct entre eux et les participants du colloque. Par la suite, j’ai eu le plaisir d’entendre de nombreuses interventions sur le cinéma chinois apportant des regards neufs et divers sur ce sujet. Aussi bien les réalisateurs, les acteurs, ainsi que les films et les sujets ont été abordés au cours de ce colloque. On peut organiser les présentations en quatre catégories : l’histoire du cinéma en Chine, le caractère social du cinéma chinois, l’adaptation cinématographique de la littérature chinoise, et enfin, des aspects propres à tous les cinémas comme la censure, la traduction et l’économie du cinéma.

L’histoire du cinéma en Chine à l’instar des autre pays est intimement liée à l’Histoire elle-même. L’évocation du Parti Communiste dans le cinéma chinois en est l’exemple parfait. Anne Jaures a étudié l’évolution du traitement du PCC dans les films chinois, depuis la propagande anti-communiste du gouvernement de Tchang Kai-Check 蒋介石 jusqu’au regard bienveillant actuel, en passant par la propagande communiste la plus enthousiaste des années 50, la censure la plus terrible de la Révolution culturelle, à la dénonciation des années 90. Patrick Doan a, pour sa part, abordé le sujet en étudiant l’image des héros communistes dans le cinéma. Pour ce faire il s’est appuyé sur deux films évoquant la vie de l’héroïne rouge, Liu Hulan 刘胡兰. Pour terminer avec l’aspect historique de ce colloque, on peut citer la présentation de Raymond Delambre qui a analysé les enjeux historiques et esthétiques du cinéma chinois en s’appuyant à la fois sur les films antérieurs à l’apparition de la RPC, et sur la carrière de l’actrice-chanteuse Zhou Xuan 周旋.

Une des forces du cinéma est de pouvoir traiter les sujets très légers comme les sujets les plus graves, tel que l’Histoire comme évoquée précédemment, ou des sujets sociaux-historiques. Le film Nü Fuma 女驸马 (Le gendre de l’empereur est une femme), présenté par Xia Dongchun, permet de découvrir le système des concours administratifs dans la Chine impériale : une femme se travestit en homme pour passer un examen mandarinal. Il est évident que l’on parle ici de fiction, dont le principal but est de dénoncer la condition de la femme. Ce thème a été d’ailleurs approfondi par Emilie Guillerez qui s’est intéressée à l’image des femmes dans le cinéma chinois des années 20 et 30. Parfois l’Histoire et le social se mêlent ; le film Vieilles histoires du sud de la ville (Cheng nan jiushi) 城南旧事 présenté par Du Lili est basé sur une autobiographie qui offre un panorama typique et pittoresque du Pékin disparu des années 20 du XXe siècle. D’une mégalopole à une autre, Shanghai a aussi été mis en scène au cinéma ; ce sont les différentes facettes de cette ville que nous a présenté Nancy Balard.

La question des adaptations cinématographiques des œuvres littéraires, elle non plus, n’a pas échappé à l’attention des participants. Chantal Séguy et Mme Carcaud Macaire ont fourni une analyse du film adapté de La véritable histoire de A-Q (A Q zhengzhuan) 阿Q正传 de Lu Xun 鲁迅. Solange Cruveillé a montré les influences littéraires et historiques dans les films de Zhang Yimou 张艺谋. Pour ma part, j’ai analysé les adaptations cinématographiques d’un recueil de conte chinois du XVIIe siècle, le Jingu qiguan 今古奇观 (Spectacles curieux d’aujourd’hui et d’autrefois). En m’appuyant sur sept films adaptés du 33ème conte du recueil, à savoir « Tang jieyuan wanshi chu qi » 唐解元玩世出奇 (Tang "Premier à la licence" joue un destin extraordinaire), j’ai étudié comment les réalisateurs ont mis au goût du jour une matière vieille de plus de trois siècles.

Par ailleurs, les sujets intrinsèques au cinéma ont également été abordés. L’aspect économique du cinéma chinois a été traité par Jacques Choukroun au travers des statistiques d’articles traitant du cinéma chinois dans la presse française. Dans un pays tel que la Chine, où la liberté d’expression est restreinte, la censure demeure. Isabelle Anselme nous a présenté le cadre juridique très aléatoire de la création et de la diffusion cinématographiques en Chine. La traduction des films chinois en français n’est pas aussi facile que pour des films provenant de certains pays culturellement plus proches. En s’appuyant sur la traduction du film Le roi des masques (Bianlian) 变脸, Fabrice Lebert a évoqué la difficulté à traduire la langue, les concepts, mais aussi la gestuelle utilisée dans les films chinois. Enfin, Sandrine Chenivesse, à travers de son expérience personnelle, nous a offert un regard tout à fait original sur la création cinématographique de Jiang Wen 姜文 qui est à la fois acteur et réalisateur.

Tout au long de ces trois jours, des débats enthousiastes ont eu lieu pendant le colloque et en dehors. Toutes ces communications intéressantes ainsi que les discussions passionnantes offrent de nouvelles perspectives de recherche sur le cinéma chinois, qui est populaire et prolifique en Chine, mais si peu connu en France car peu traduit. Le cinéma chinois grâce à sa diversité et son dynamisme peut être un bon moyen de découvrir la Chine et la culture chinoise.

Huang Chunli

1 commentaire:

galanga a dit…

Tout cela m'a l'air très très intéressant, et je me demande si cela aurait été filmé, et si oui s'il serait possible de le rendre disponible sur youtube, par exemple.

Sur le fait que le cinéma chinois soit si peu (re)connu en France, je pense à une autre raison que la difficulté à faire traduire les films : le fait que les films chinois qui "passent" et qui ont réussi à passer ces dernières années sont pour beaucoup des films lents et chiants (pardon pour mon impolitesse), comme ceux de Jia Zhangke.
La tendance cinématographique française actuelle, dont le palmarès du Festival de Cannes est chaque année une caricature flagrante (*), vient imposer au choix des films chinois sa vision, qui est celle d'une cinéma "sans artifice" y compris temporel et où avoir un scénario est une injure au Jury et aux critiques, et donc qui choisit de préférence des films biennn lents et biennnn chiants.
Pas étonnant que ça n'attire pas les foules.

J'ai eu l'occasion de voir les films chinois contemporains de festivals comme ceux du Max Linder, et la variété et la qualité m'ont souvent impressionnés, sans parler des films plus anciens absolument géniaux ou magnifiques que j'ai pu voir par exemple à la cinematek de Bruxelles, frites une fois.

Autre chose: pourquoi le gouvernement chinois ne met-il pas en place une plateforme de diffusion de films sur internet, comme vient de le faire MosFilm pour de nombreux films soviets et russes : http://www.cinema.mosfilm.ru ?

(*) Apichatpong Weerasethakul l'année dernière, The Tree of Life cette année (rrrrr zzzz rrrr zzzz...), les frères Dardenne en continue depuis des lustres, etc.