lundi 26 septembre 2011

Sanctuaire du Cœur


La romancière vietnamienne Duong Thu Huong (Dương Thu Hương) continue à nous étonner, depuis son installation en France, avec une production riche et régulière. Après une volumineuse Terre des oublis de 794 pages parue en 2006 et récompensée par le Grand prix des lectrices de « Elle » en 2007, Au zénith publié en 2009, 800 pages, a obtenu le Prix Laure Bataillon de la meilleure œuvre traduite en français 2009 et le Prix Jules Janin 2009. Son nouveau roman, Sanctuaire du Cœur, sorti le 15 septembre dernier, « amène ses lecteurs dans une histoire époustouflante au cœur du Vietnam (…) Duong Thu Huong dresse le portrait sans appel d’une société vietnamienne déstabilisée et corrompue que dominent le sexe, le pouvoir et l’argent », peut-on ainsi lire sur Livre de Poche. Ce résumé pourrait étonner, car les thèmes chers à l’écrivaine touchent plutôt à la guerre ou au Vietnam dans l’après-guerre, mais cela témoigne aussi de sa capacité de se renouveler. N’ayant pas eu en main cette nouveauté, je ne peux que vous dire que le résumé (que vous trouverez sur le site de l’éditeur http://www.swediteur.com/titre.php?id=113) promet une lecture passionnante :
« La fugue de Thanh plonge dans la stupeur ses parents, un couple de professeurs respectés, ainsi que toute la petite ville proche de Hanoi où vit cette famille modèle. À seize ans, le jeune homme était promis à un brillant avenir et n’avait jamais donné le moindre signe de trouble ni de rébellion.
Quand on le retrouve quatorze ans plus tard – en 1999, le temps du récit –, il est devenu gigolo, entretenu par une femme d’affaires rencontrée dans la maison close de Saigon où il exerçait ses talents de prostitué.
Comment – et pourquoi – ce jeune homme sans histoires en est arrivé là, c’est ce que dévoile ce roman diaboliquement construit.
Thanh a tout le temps, pendant ses longues journées dans la villa de la côte que seuls rythment des dîners dans des établissements de luxe, de se remémorer son passé.
Ses jeunes années sont autant de souvenirs lumineux : elles ont été à jamais marquées par la présence radieuse de Tra My, son amie de toujours, la petite fille que ses parents avaient recueillie et dont il était tombé éperdument amoureux.
Sa descente aux enfers après sa fugue vient en sombre contrepoint de cette enfance heureuse : les scènes époustouflantes de son arrestation par erreur dans un hôtel de passe, de son emprisonnement avec des droit commun ou de sa rencontre avec le proxénète qui l’a embauché donnent à Duong Thu Huong la matière d’un portrait sans appel d’une société vietnamienne déstabilisée et corrompue que dominent le sexe, le pouvoir et l’argent.
Quand Thanh ne supporte plus sa vie oisive d’objet sexuel et qu’il décide de prendre un nouveau départ, il ne peut s’empêcher de buter sur le traumatisme subi lors de ses seize ans. La scène qui le hante, et dont son propre père est l’acteur principal, donne la clé de sa dérive et du roman tout entier.
La question sous-jacente que pose en effet Duong Thu Huong tout au long de ce livre consacré aux enfants des hommes et des femmes de sa génération, celle qui s’est battue pour des idéaux et qui ne se reconnaît pas dans le Vietnam d’aujourd’hui, est déchirante : qu’avons-nous fait à nos enfants ? quel monde leur laissons-nous ? »
Pour la première fois, Duong Thu Huong attaque ainsi à la société vietnamienne contemporaine, du « renouveau » ou đổi mới en vietnamien qui veut dire littéralement « changer » et « neuf » (quant à sa traduction très riche de sens et un stimulant exercice de traduction, on peut voir la contribution de Yann Bao An et Benoît de Tréglodé dans l’ouvrage collectif Vietnam contemporain paru en 2004). Dans ce pays, les enfants des héros d’hier qui combattaient pour l’idéal communiste, ne croient plus en rien… Mais, peut-être, c’est aussi cela la mondialisation ?

En attendant, espérons que l’auteur nous amène réellement dans un voyage humain et littéraire passionnant, comme écrit Alexis Liebaert qui avait décerné à Duong Thu Huong le titre de « la Soljenitsyne vietnamienne » à la sortie de la Terre des oublis, « jamais (…) la militante ne prend le pas sur la romancière, cette magicienne de la langue capable de faire sentir au lecteur l’odeur d’un jardin de pamplemoussiers, comme de lui faire partager les tourments d’un adolescent à l’innocence trahie » (Marianne du 24 septembre 2011, p. 87).

Enfin, saluons le travail du traducteur Phuong Dang Tran et celui de l’éditeur Sabine Wespieser auxquels nous devons ce roman de 752 pages traduit du vietnamien, avec le soutien du Centre National du Livre, et que nous espérons lire un jour en vietnamien.

Nguyen Phuong Ngoc

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