lundi 10 décembre 2012

Au pays du Cerf blanc de Chen Zhongshi



Bai Jiaxuan n’eut dans sa vie pas moins de sept épouses et il en tirait une grande fierté.
C'est ainsi que débute Au pays du Cerf blanc la traduction par Shao Baoqing et Solange Cruveillé du Bailu yuan 白鹿原, bestseller de Chen Zhongshi 陳忠實 (1942-) que viennent de publier les Editions du Seuil.

Voici ce qu'en dit l'éditeur : 
Au pays du Cerf blanc, non loin de l’ancienne capitale Xi’an, deux formidables patriarches et leurs clans s’affrontent sans répit dans la tourmente de la première moitié du XXe siècle. Entre la chute de l’Empire manchou et la victoire du communisme, Baï Jiaxuan établit sur le village son autorité de paysan aisé, de notable confucianiste à la colonne vertébrale bien droite (bientôt cassée par les brigands !) tandis que son rival et ami Lu Zilin, bon vivant, corruptible, mais sensible et doux, saisit toutes les opportunités qu’offre la succession des nouveaux pouvoirs. 
Qui sera le vainqueur ? 
Les catastrophes diverses, famine, bandits, épidémies et Seigneurs de la guerre s’abattent sur leur village tandis que les enfants Bai et Lu s’aiment, se déchirent, combattent dans des camps opposés, choisissent de partir à l’aventure pour les uns ou plient, pour les autres, sous le poids de la tradition. 
Véritable épopée de la Chine profonde, dense, débordant de vie et d’humour, Au pays du Cerf blanc nous plonge dans un univers saisissant, peuplé de personnages inoubliables emportés dans le tourbillon de l’Histoire.
Ce roman a suscité, depuis sa sortie en 1993, un grand intérêt en Chine, et déjà des adaptations en ballet et au cinéma ; il pourrait bien devenir votre livre de chevet pendant toutes les vacances de fin d'année : il fait 816 pages.

Keul Madang : le n° 18 est en ligne


Le n° 18 (décembre 2012) de la revue Keul Madang est en ligne.
Voici l'éditorial de Julien Paolucci :
Quelques mois après la parution d’un numéro consacré à  la poésie, Keulmadang donne la parole au poète Ko Un. Au gré d’une interview et de lectures croisées,  se dessine  le portrait d’un homme  buvant à la source d’une poésie  qui jaillit de la terre et nourrit  l’Humanité. Un art enraciné dans l’histoire douloureuse de  la Corée du 20ème  siècle et dont les branches auront grandi avec l’expérience littéraire de l’auteur, aujourd’hui considéré comme l’un des poètes contemporains les plus importants. Un regard sur la poésie actuelle qui pourra être approfondi  par la lecture  d’un entretien avec Moon Chung-hee,  poétesse récemment traduite en français.
Pour le moins surprenant! Aux articles  des rédacteurs de Keulmadang, s’ajouteront de manière quotidienne dans un billet d’humeur, impressions à chaud, notes de lecture ou  réflexions qui surgissent au fil des textes; dans ce blog littéraire, c’est aussi l’actualité de la littérature coréenne que nous allons tenter de condenser pour vous.
Enfin, ce numéro est aussi l’occasion de vous adresser une grande nouvelle : Keulmadang  intègre le réseau des revues de l’IrAsia (Institut de Recherches Asiatiques) de l’Université d’Aix-Marseille  et s’ouvre ainsi à  un nouveau réseau de diffusion internationale.
Bonne lecture à tous

mardi 13 novembre 2012

Gao Xingjian : deux sinon rien


A peine un mois après la sortie du Veau suivi du Coureur de fond (traduit par François Sastourné)  du tout récent Prix Nobel de Littérature 2012, l'écrivain Mo Yan 莫言, les Editions du Seuil viennent de publier deux volumes consacrés à Gao Xingjian 高行健, Nobel de littérature 2000.

Il s'agit d'un volumineux volume (1024 pages) comprenant La Montagne de l'Ame, Une canne à pêche pour mon grand-père, Le Livre d'un homme seul, ainsi que deux nouvelles inédites :  L'Ami et Vingt-cinq ans après. 
« Les deux nouvelles inédites, écrites au début des années 1980, évoquent les retrouvailles de proches séparés par la Révolution culturelle. L’Ami réunit Chuichui, autrefois accusé d’espionnage et victime de tortures, et son ami d’enfance, après treize ans de séparation. Vingt-cinq ans après, c’est le temps qu’il aura fallu à Zhang pour retrouver son amour de jeunesse. La fidélité des sentiments l’emporte sur la dictature et, si douloureuse qu'ait pu être la séparation, chacun n’aura eu de cesse, et à raison, d’espérer, de rêver, et d'écrire ces retrouvailles. » [Extrait du dossier de presse]
L'ensemble est traduit par Noël et Liliane Dutrait et sort dans la collection « Opus ».
Les amateurs seront également ravis de découvrir une autre œuvre inédite en traduction. Elle est traduite par Noël Dutrait et Philippe Che sous le titre de Chronique du Classique des mers et des monts. Tragicomédie divine en trois actes. Il s'agit de la pièce de théâtre Shanhai jing zhuan 山海經傳 élaborée par Gao Xingjian à partir du Shanhai jing 山海經 et donnée à Hong Kong en février dernier.
« "LE RÉCITANT, frappant sur son tambour qui rend un son mat.
Mesdames, Messieurs, regardez notre ancêtre à tous, Nüwa, au milieu de ce chaos. C’est une déesse, naturellement, et non pas une femme ordinaire. Elle est d’une grande beauté malgré sa grande saleté, elle n’a aucune honte et garde sa dignité. On ne sait ce qu’elle dit, on ne sait ce qu’elle chante. Les dieux ont leur propre langage, comment vous et moi, hommes et femmes ordinaires, pourrions-nous les comprendre ? "
La mythologie chinoise dans laquelle nous entraine le prix Nobel GAO Xingjian est peuplée de monstres fantastiques - buffle unijambiste, serpent à tête humaine, corbeaux d'or et oiseaux aux couleurs chatoyantes -, de dieux et déesses tour à tour capricieux, jaloux, colériques et touchants. En proie aux vices humains, ces personnages qui forgent notre monde actuel rappellent étrangement les dieux antiques grecs ou romains et les humains de tout temps et tous lieux. » [Extrait du dossier de presse]

jeudi 1 novembre 2012

Appel du Citl



APPEL À CANDIDATURE POUR LA FABRIQUE JAPONAISE DES TRADUCTEURS
COLLÈGE INTERNATIONAL DES TRADUCTEURS LITTÉRAIRES

La Fabrique des traducteurs a pour objectif de donner à de jeunes traducteurs en début de carrière l'occasion de travailler avec d'autres traducteurs expérimentés et de mieux connaître le paysage de la traduction et de l'édition dans les deux pays. Chaque atelier met en présence, pendant dix semaines, trois jeunes traducteurs étrangers et trois jeunes traducteurs français.

Plusieurs binômes de traducteurs expérimentés se succèdent et guident le travail des six jeunes traducteurs pendant 2 à 3 semaines chacun. Le temps restant est mis à profit pour les rencontres professionnelles et la préparation de la lecture publique des travaux. Les textes traduits au cours des ateliers font l'objet d'une lecture publique de clôture.

Les candidats retenus reçoivent une bourse de résidence de 2500 €.
Un atelier franco-japonais se déroulera du 8 avril au 14 juin 2013.

L’appel à candidature est en ligne jusqu'au 10 décembre :

Pour plus de renseignements, merci de contacter Caroline Roussel :

mardi 23 octobre 2012

4e Rencontre des Écrivains Coréens


4e Rencontre des Écrivains Coréens,
en partenariat avec la Fondation littéraire de Corée (Klti).

Jeudi 25 octobre à 18h30
à la Cité du Livre-Bibliothèque La Méjanes,
Amphithéâtre

En présence des auteurs :
Kim Ae-ran, Kim Jung-hyuk, Pyun Hye-young et
Han Yu-joo (actuellement auteure invitée à Aix)

La soirée sera présentée par Annie Terrier, directrice des Écritures Croisées
et Noël Dutrait, Directeur de l'IrAsia
(animation Jean-Claude de Crescenzo, traduction Julie Kim).

Présentation, débats, signatures.
(Table tenue par la Librairie Goulard)

jeudi 11 octobre 2012

Mo Yan, Prix Nobel de Littérature 2012

MO YAN vient de se voir décerner le Prix Nobel de Littérature pour l'année 2012 !

jeudi 4 octobre 2012

Yan Lianke à Aix-en-Provence


Du 18 au 21 octobre prochains va se tenir à Aix-en-Provence, la Fête du Livre 2012 organisée par les Ecritures Croisées.

Elle a pour étendard les Bruits du monde. Littératures de l'ici et de l'ailleurs et sera dédié à Carlos Fuentes. Les auteurs invités sont David Grossman, Antoine Volodine, Juan Goytisolo, Péter Esterházy et Yan Lianke que vous pourrez rencontrer non seulement le samedi 20 à 15h à l'Amphithéâtre de la Verrière, mais encore le dimanche 21 entre 10h00 et 11h30, toujours au même endroit. Cette deuxième rencontre est réservée principalement aux étudiants de l'IUT Métiers du Livre d'Aix-en-Provence et à ceux du Département d'études Asiatiques d'Aix-Marseille Université.
A 15h30, Yan Lianke dialoguera, toujours à Amphithéâtre de la Verrière de la Cité du Livre, avec Antoine Volodine. L'interprétariat de chacune de ces trois séances sera assurée par M. Philippe Che (AMU, IrAsia-Leo2t).

Venez nombreux découvrir l'auteur de Servir le peuple (2006), Le Rêve du village des Ding (2007) , Les jours, les mois, les années (2009), Bons baisers de Lénine (2009), Songeant à mon père (2010), Les Quatre Livres (2012), tous publiés aux Editions Philippe Picquier.

mercredi 12 septembre 2012

Gao Xingjian: FFP, le documentaire

Gao Xingjian (à droite) avec Mickael Lackner, directeur du IKGF

Du 24 au 27 octobre 2011, s'était tenue à Erlangen une conférence internationale organisée par l'International Consortium for Research in the Humanities qui avait pour objet Gao Xingjian: Freedom, Fate, and Prognostication. Le documentaire réalisé pendant cette manifestation, signalée à l'époque sur ce blog, est dorénavant accessible en ligne : en grand format > ici ; en petit format >  ; et également à partir du site de l'ERD Gao Xingjian, rubrique 'Ressources audiovisuelles' > ici.

lundi 3 septembre 2012

Reprise


Reprise de l'activité de ce blog après un mois d'interruption volontaire.... juste à temps pour vous signaler que la recherche sinologique a rendez-vous à Paris pour la XIX Biennial Conference of the European Association of Chinese Studies (EACS) (Paris, September 4th –8th 2012).

Li Shiwei  黎诗薇 interviendra (vendredi 7, matin) dans le panel Translation studies avec un exposé intulé Translating pre-modern Chinese novels in France, from the Age of Enlightenment to present days.

Je compte sur elle pour vous faire un compte-rendu de ces quatre journées intenses qui seront lancées par une intervention du Prof. Léon Vandermeersh (le 5/09, 10:00-11:00)
Pour consulter le programme et les résumés des communications, merci de vous se rendre ici.


samedi 4 août 2012

Pause estivale

Je vous donne rendez-vous en septembre. Bonnes vacances. PK

vendredi 3 août 2012

Miscellanées littéraires (014)

N° du 5 fev. 1911 [Source Gallica]
Si vous voulez tout savoir sur Le Petit journal et son Supplément illustré qui ravirent tant de lecteurs curieux du monde et de ce qui s’y passe consultez le site qui lui est entièrement consacré et grâce auquel vous apprendrez que ce titre « est l'un des plus anciens journaux de France. Il est née en 1863 et sa création doit être considérée comme l'un des événements qui marquèrent le plus profondément dans la vie du Paris de naguère. » (Jean Lecocq, Almanach, 1940) et qu’il aurait publié son dernier numéro le 1er août 1937.

Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque de France, permet de feuilleter en ligne ou de télécharger aussi bien le Petit journal  que le Supplément illustré. Vous pouvez, enfin, grâce à la recherche d’image de Google, embrasser d’un seul coup d’œil un grand nombre de ces unes qui attiraient imanquablement l’attention et donnaient envie de lire les pages intérieures.

Le numéro qui a retenu mon attention est celui qui parut le 5 février 1911 [sur Gallica ; voir également ici]. Son titre accrocheur « La Chine se modernise » est bardé d'un sous-titre développé en page 2 (numérotée 42) pas moins attirant : « A Shanghai, des Chinois font en public le sacrifice de leur natte » : 

Comme nos lecteurs le verront dans notre « Variété », l'évolution de la Chine vers la civilisation occidentale ne se manifeste pas seulement dans l'ordre militaire et administratif. Un mouvement considérable se produit en ce moment dans les grandes villes chinoises en faveur du costume européen, et surtout contre la vieille tradition de la coiffure chinoise. C'est ainsi que ces jours derniers, à Shanghaï, cinq cents Chinois héroïques, réunis sur une place publique, sont montés l'un après l'autre sur une estrade et, en présence de quatre mille de leurs compatriotes, ont renoncé à l'appendice chevelu et natté qui, de temps immémorial, a fait l'ornement du chef et du dos des fidèles sujets du Fils du Ciel. De telles manifestations de la part d'un peuple si attaché naguère à ses coutumes et à son costume ne doivent pas nous intéresser seulement par leur pittoresque. Elles caractérisent un état d'esprit nouveau, de nature à nous faire réfléchir, car le triomphe de la civilisation occidentale, transformant la Chine en puissance industrielle et militaire, n'irait probablement pas sans faire courir à l'Europe les plus graves dangers.
La rubrique « Variété » approfondit en élargissant le sujet. Ernest Laut (1864-19??) y signe un long article intitulé  « Le pied des Chinoises et la natte des Chinois ». Restons-en, pour cette fois, à ce qui touche à la coiffure des hommes et lisons :
L'impératrice Tsou-Hsi ne s'occupa pas moins de la tête des hommes que des pieds des femmes. C'est encore elle qui, en cette même année 1903, annonça à ses sujets qu'il leur serait loisible désormais de couper leur natte si ça pouvait leur faire plaisir.
Or, il est piquant de constater que cette natte qu'elle condamnait ainsi par ordonnance impériale, c'est un de ses ancêtres qui, jadis, l'imposa aux Chinois. Au temps jadis, en effet, les Fils du Ciel portaient les cheveux courts. Or, quand les Tartares de Mandchourie conquirent le pays, l'idée leur vint d'imposer aux vaincus une marque distinctive d'esclavage, et ils édictèrent que, dorénavant, tous les Chinois porteraient le front rasé et la chevelure longue et tressée sur la nuque. Les vieilles chroniques chinoises affirment que ce décret fut d'abord très mal accueilli. Beaucoup de Chinois, pour y échapper, s'enfuirent à Hainan, à Formose et au Japon. Et puis, peu à peu, la fâcheuse origine de cette mode fut oubliée, et le Chinois porta sa natte sans se douter que cette coutume était née d'une défaite et d'une humiliation de ses ancêtres. Or, cette natte, sans laquelle nous ne pouvions nous imaginer le vrai Chinois de Chine, voici qu'elle disparaît, elle aussi. L'impératrice avait commencé par autoriser simplement ses sujets à la couper. Comme ceux-ci hésitaient, elle ne se contenta plus de conseiller, elle ordonna. A la fin de 1904, elle publia un rescrit édictant que, a partir du premier jour de la première lune de l'année suivante, c'est-à-dire à partir du 4 février 1905, officiers et soldats de l'armée chinoise devraient couper leur tresse. Les mandarins civils des trois degrés supérieurs étaient invités à suivre également cet exemple. Le sacrifice accompli dans l'ordre militaire, il s'agissait de faire adopter par le civil la nouvelle esthétique capillaire. Depuis quelques mois surtout, la campagne en faveur de la modernisation de la coiffure a pris un développement considérable. Elle donne lieu dans toutes les grandes villes chinoises à des scènes curieuses et à des manifestations des plus pittoresques. Au mois de décembre dernier, à Hong-Kong, six notables respectables par l'âge et la situation morale dont ils jouissent, coupèrent leur natte en public, tandis qu'une fanfare jouait des airs d'opéra. Des centaines d'imitateurs suivirent leur exemple, et, bientôt, des sacrifices sans nombre eurent lieu.
 Les partisans de la jeune Chine organisent partout des meetings dans lesquels ils vitupèrent à qui mieux mieux contre la natte. L'un d'eux, l'autre jour, rappelait que lors de la guerre des Légations, un seul soldat français avait suffi pour emmener prisonniers cinq Chinois en les attachant par la natte à la sangle de son cheval. Un autre citait le cas d'un mécanicien chinois qui, pris par sa chevelure dans l'engrenage d'une machine fut broyé en subissant une horrible torture. Cette campagne porta ses fruits. En l'espace de trois jours, onze mille personnes se convertirent à la mode nouvelle. Mais le mouvement a fini par inquiéter les marchands qui craignent que leurs compatriotes, non contents de couper leurs nattes, ne veuillent aussi abandonner le costume national, ce qui serait pour le commerce une perte considérable. Déjà, il y a trois ans, le ministre de l'Instruction publique en Chine, effrayé par les progrès de la mode européenne parmi les lettrés et les étudiants, publia un décret interdisant à tous les élèves des écoles et établissements de l'État de s'habiller de cette façon. Une seule exception fut prévue. « En raison, disait le ministre, des inconvénients qu'offre le costume indigène pour les exercices de gymnastique, les vêtements européens seront autorisés pour cet usage spécial, mais ils ne devront être faits qu'avec des étoffes fabriquées en Chine. » Cependant, la mode européenne gagne de plus en plus. La suppression de la natte est l'acheminement forcé vers le veston et le pantalon. Et la Chine est destinée à suivre vers la civilisation européenne, une évolution, plus lente peut-être, mais tout aussi sûre, que celle qu'a suivie le Japon.

Rappelons que par le Tifaling 剃髮令, les Mandchous avait très tôt imposé à tous les Chinois le port de la coiffure mandchoue qui consistait à se raser le haut du front et à se faire une natte, bianzi 辮子 ; s’en abstenir signifiait la mort, selon la formule bien connue et extrêmement convaincante Liu fa, bu liu tou ; liu tou, bu liu fa  留髮不留頭,留頭不留髮 qu’on traduira  librement par Mieux vaut garder sa tête au prix de ses cheveux que la perdre pour ses cheveux. En conséquence, se débarrasser de sa natte avait, en 1911, après 267 ans de domination étrangère, un caractère anti-mandchou très marqué et devait peu à un phénomène de mode.

Certains comme Gu Hongming 辜鴻銘 (1857-1928) auront du mal à s’en passer [voir les anciens billet où il est question de ce curieux personnages qui avait fait l’objet de la devinette n° 11  ; voir également la réponse]. Gu était également un amateur de pieds bandés. On y reviendra un de ces jours prochains. 

mercredi 1 août 2012

Miscellanées littéraires (013)

Edition de 1735 de L'Ecumoire [source]
J’ai découvert Claude-Prosper Jolyot de Crébillon, dit Crébillon fils, né à Paris le 14 février 1707 et mort dans la même ville le 12 avril 1777 (merci Wikipedia), en 1977 avec Les égarements du cœur et de l’esprit (1736) qu’Etiemble avait préfacé en 1961 et qui faisait alors son apparition dans la collection « Folio » de Gallimard sous le n° 891.

C’était juste à la sortie de la lecture des Bijoux indiscrets de Diderot qu'Etiemble invoquait dès les premières lignes de cette invitation à lire tout Crébillon fils. J’achetais aussitôt, et peu avant de faire l’acquisition d’un volume de la Bibliothèque des curieux (Paris, coll. « Les Maîtres de l’Amour », 1913) contenant outre La Nuit et le moment (1755) et Le Hasard du coin du feu (1763), Le Sopha (1742), un autre titre de cet auteur qui, dixit Etiemble « mourut à soixante-dix ans, pauvre, ce qui, de la part d’un homme de son métier, en ce temps-là, est bien », et c’était  L’Écumoire ou Tanzaï et Néadarné. Histoire japonaise dont Ernest Sturm venait de donner, avec la collaboration de Marie-Clotilde Hubert, une édition critique de haut vol, mais jamais rééditée, chez Nizet (Paris, 1976, 414 p.). L’introduction savante commençait ainsi : « Dès sa publication en 1734, Tanzaï et Néadarné, histoire japonaise du « jeune Crébillon » connaît un succès de scandale, désigne l’auteur à la répression policière, divertit Voltaire et retient l’attention de Marivaux et de Prévost. Par la suite le roman demeure lu avec assiduité ; il fait l’objet, sous le titre de L’Ecumoire, de rééditions successives jusqu’à la veille de la Révolution. » (p. 9) L'édition initiale s'affiche comme ayant été éditée « A Pékin, Chez Lou-chou-chu-la, seul imprimeur de Sa Majesté Chinoise pour les langues étrangères. »

Ainsi quand, le 3 juin dernier, Thomas Pogu m’a envoyé des extraits de ce roman et des morceaux de la préface d’Etiemble aux Egarements, j’étais aussi ravi qu’impatient de les faire partager.  C’est donc avec deux lunes de retard que je comble cette lacune. 

Mais avant de vous faire lire un extrait de la préface sus-mentionnée, voici le résumé du roman par Pierre Dournes dans le Dictionnaire des œuvres érotiques de Pascal Pia (Robert Laffont, « Bouquins », (1971) 2001, pp. 150-151) :

[Il suffit de cliquer sur le document ci-dessus pour l’agrandir]
« Et si L’Écumoire, cette histoire censément japonaise de Tanzaï et Néadarné, n'était pas seulement, ou n'était pas surtout, ou n'était pas du tout, un conte licencieux ? Et si j'avais eu tort, voilà quelques décennies, d'en parler un peu cavalièrement, pour faire quelque chose comme un mot sur cet ustensile de ménage à trois ou quatre ? Cette japonaiserie qui dissimule médiocrement une de ces chinoiseries à la mode vers ce temps-là parut si dangereuse qu'elle valut à l'auteur un séjour en prison. Sous une forme parodique dont « frémit » naïvement le bibliographe et sinologue Henri Cordier, Crébillon brocarde avec enjouement l'engouement de son siècle pour la Chine en général et en particulier pour la morale confucéenne. N'est-ce point faire pièce aux jésuites, qui tiennent Confucius pour l'un des hommes les plus saints qu'ait produits la gentilité, que de prétendre qu'à ce moraliste austère et qu'on prétendait chrétien sans le savoir, on pouvait avec vraisemblance attribuer un conte badin ? « Cet ouvrage est, sans contredit, un des plus précieux monuments de l'Antiquité ; et les Chinois en font un si grand cas qu'ils n'ont pas dédaigné de l'attribuer au célèbre Confucius. » En fait, rien de moins chinois que cette « histoire japonaise » dont les personnages s'appellent Hiaouf-Zélès-Tanzaï et Néadarné, où les démons s'indianisent en Dives à moins qu'ils ne s'arabisent en Ginnes, nos Djinns. Orient funambulesque, qui mélange des lambeaux d'un Orient musulman que Les Mille et Une Nuits, traduites par Galland, avaient divulgué en Europe, et d'une Chine de pacotille, dont les jésuites s'instituaient alors les commis-voyageurs. » (Etiemble, « Préface », Les Egarements.... (1961) 1977 , pp. 15-16).

Mais mettons fin à ces interminables prolégomènes pour citer comme il se doit des extraits d’un ouvrage à inscrire à votre programme de lectures estivales, si, naturellement, vous arrivez à mettre la main dessus : voir le premier des 4 tomes des Œuvres complètes de Crébillon fils de la « Bibliothèque du XVIIIe siècle » des Classiques Garnier (Jean Scgard (ed.), 2010, 799 p.) sinon, il faudra passer par le téléchargement d’éditions anciennes sur Google Books
Chapitre I (ext.) : De l’origine de ce livre

Cet ouvrage est, sans contredit, un des plus précieux monuments de l’Antiquité ; et les Chinois en font un si grand cas, qu’ils n’ont pas dédaigné de l’attribuer au célèbre Confucius. En effet, pour la sagesse des préceptes, la bonté de la morale, la beauté de l’invention, la singularité des événements, et l’ordre qui y est répandu, ils n’ont pu se dispenser de l’en croire l’auteur, ou de moins de souhaiter qu’il le fût. Ce livre, cependant, est de Kiloho-éé, personnage illustre, antérieur à Confucius de plus de dix siècles, premier mandarin de la loi, revêtu des emplois les plus grands, et connu à la Chine par un grand nombre d’ouvrages historiques, politiques, et moraux. Un savant chinois (1) qui a fait, il y a quatre cents ans, l’Histoire littéraire de sa patrie avec une exactitude admirable, a prouvé, par des raisons invincibles, que Kiloho-éé était seul l’auteur de ce livre. Ce qu’il en a donné n’est qu’un fragment d’une histoire plus longue, un essai, pour ainsi dire, de celle de tout un peuple. Les raisons pour lesquelles il a abandonné son projet, ne nous sont pas connues. Quelque honneur que Kiloho-éé ait attendu de ce commencement, qui ne forme que l’Histoire particulière d’un Prince, il n’a pu s’empêcher d’avouer qu’il l’a traduit de l’ancienne langue japonaise, sur un manuscrit très vieux ; et l’auteur japonais l’avait lui-même traduit de la langue des Chéchianiens, peuple qui dès ce temps-là ne subsistait plus.
Le Japonais, dans un endroit, assure que sa nation tenait à honneur de descendre des Chéchianiens : mais il semble n’être pas de cet avis, parce que de son temps même il ne restait aucune preuve de cette descendance, et qu’il croit, en auteur judicieux, qu’une chose aussi importante ne peut être trop bien constatée. Il entre même sur cet article une Dissertation que Kiloho-éé n’a point traduite, parce qu’elle n’éclaircissait rien. Il serait plus difficile aujourd’hui de savoir ce qui en est. Sous le bon plaisir du lecteur, on passera donc à des faits d’une discussion plus aisée.
(1) Cham-hi-hon chu-ka-hul-chi. Hist. litt. de la Chine, Pékin, 1306, p. 135, prem. vol.

 Chapitre II (ext.) : Comment ce trésor a passé en France

Un Hollandais, homme d’esprit, se trouvant à Nankin il y a près de cent ans, fut obligé, par les affaires, d’y demeurer assez de temps pour pouvoir apprendre passablement le Chinois. Dans le temps que pour s’y former davantage il cherchait à faire une traduction, ce livre lui tomba entre les mains, il l’admira, l’entreprit, et parvint, après un travail de trois ans, à le mettre en Hollandais ; mais très imparfaitement, selon qu’il l’a avoué lui-même. Peu curieux de le donner au public, il repassa en Europe, et laissa son ouvrage au savant Jean-Gaspard Crocovius-Putridus, de Leipzig, son ami intime, et connu dans la littérature par la dispute qu’il a eue avec Emmanuel Morgatus, sur une chose importante. Il s’agissait de savoir si les meutes de la chaste Diane étaient composées de chiens et de chiennes, ou seulement de l’un ou l’autre sexe de ces animaux. Après des contestations très vives, la palme demeura à Putridus, qui prouva, par des raisons tirées de la pudeur de la déesse, et par les témoignages des plus grands hommes de l’Antiquité, qu’elle n’avait jamais eu que des chiennes. Le Hollandais arriva dans le temps que Putridus était complimenté par tous les doctes d’Allemagne, sur l’important service qu’il venait de rendre à la république des Lettres ; il le pria de commenter sa traduction chinoise. Crocovius la traduisit en latin, l’enrichit de notes et de commentaires, et il était près de la donner au public en trois volumes in-folio, lorsqu’une mort prématurée enleva ce savant homme. Balthazar Onerosus, et Melchior Insipidus, ses neveux, héritiers des biens et de la science profonde de leur oncle, augmentèrent encore son livre, le commentèrent, éclaircirent ses notes, en ajoutèrent de nouvelles, comparèrent les leçons, restituèrent les passages, et le faisaient enfin imprimer à Nuremberg en cinq volumes in-folio, lorsque la peste les emporta. Leurs enfants, moins érudits, et hors d’état de subvenir aux frais d’une édition de cette importance, vendirant l’ouvrage de leurs pères à un noble Vénitien qui se trouva pour lors à Nuremberg. Ce seigneur, nommé Annibal, Julio, Scipione, Buz-è-via, de gli Tafanari, de retour à Venise, le traduisit en sa langue, non tel qu’il l’avait acheté. Comme il n’entendait que très imparfaitement le latin, il laissa à part l’érudition : aidé par un frère servite, et tous deux s’aidant d’un dictionnaire, il le mit enfin en état de paraître en langue vénitienne. Si Son Excellence Buz-è-via avait put profiter des remarques savantes dont les Allemands avaient orné cet ouvrage, la France l’aurait plus complet, et mille choses qui ont besoin d’éclaircissements, n’en resteraient pas privées. On ne se flatte pas d’avoir bien réussi à cette dernière traduction. Le vénitien est un jargon difficile à entendre, et le traducteur français avoue que dans le toscan même il y a bien des termes qui l’arrêtent. Ce qui ne paraîtra pas extraordinaire, quand on saura qu’il n’a étudié l’italien que deux mois, sous un Français de ses amis qui n’avait été à Rome que six semaines.
Chapitre III (ext.) : Inconvénients auxquels il a fallu remédier.
Éloge du dernier traducteur.

On peut aisément inférer des différentes mains par lesquelles ce livre a passé, qu’il doit lui rester peu de ses grâces nationales ; et je ne sais, à tout prendre, s’il en sera moins bon. Les livres orientaux sont toujours remplis de fatras, et de fatras absurdes ; les religions des peuples de l’Orient ne sont fondées que sur des contes qu’ils mettent partout, et qui seraient aussi ridicules pour nous, qu’ils sont vénérables pour eux. Ces religieuses folies donnent à leurs écrits un air bizarre, qui a pu plaire dans sa nouveauté, mais qui est trop rebattu aujourd’hui, pour que le lecteur lui trouvât des grâces. Outre leurs dieux à qui ils font jouer toutes sortes de personnages, ils mettent en œuvre les génies et les dives ; on les trouve dans leurs plus sérieuses histoires ; et si quelqu’un de leurs héros est dans quelque grand danger, c’est une dive qui l’y a plongé, c’est une ginne qui l’en retire. Ces êtres imaginaires fondent et dénouent les trois quarts de leurs livres ; et quoiqu’ils donnent souvent lieu à des événements singuliers, on s’ennuie de ne voir jamais sur la scène que ces mêmes acteurs, et cela marque une stérilité d’imagination qui impatiente. D’ailleurs leur façon de narrer est remplie de métaphores, et de certains tours, que la simplicité de notre langue ne permet de rendre ni avec exactitude, ni avec agrément. La traduction d’un livre oriental en français, est donc un ouvrage plus difficile qu’on ne pense. Quoique celui-ci ait été traduit du vénitien, on ne doit pas croire qu’il en ait donné moins de peine.
Le seigneur Annibal a tout confondu, et il n’a pas fallu un travail médiocre pour arranger les faits, comme on peut croire que Kiloho-éé l’avait fait. Au nom de ginne peu connu parmi nous, j’ai substitué celui de fée, dont nous faisons communément usage. Où j’ai pu retrancher les noms barbares, je l’ai fait. La ginne Hic-nec-sic-la-ki-ha-tipophetaf formait un nom tout à fait insupportable à prononcer, je l’ai changé ; en un mot, je n’ai rien oublié de tout ce qui pouvait rendre cet ouvrage parfait, et je ne doute point qu’il ne le soit. Je l’ai embelli, en quantité d’endroits, de réflexions également neuves et judicieuses. Il est écrit avec un soin, une netteté, et une précision merveilleuse ; et je suis persuadé que Kiloho-éé est infiniment inférieur à cette traduction, quoique faite d’après une langue que je n’entends presque pas.
Pour le fond, il peut être extravagant, mais c’est vraisemblablement la faite de l’original. On aurait tort d’exiger de l’imagination d’un Chinois, la régularité et ce goût qui brillent dans nos auteurs français, qui toujours compassés, sont presque toujours fort raisonnables, et froids encore plus souvent. Fondés en cela sur je ne sais quel précepte d’Horace, que de bon cœur je mettrais ici, si je m’en souvenais parfaitement ; mais cet Horace prétend que la raison soit égayée, et n’ordonne pas qu’on ennuie ses lecteurs à force de sagesse. Je suis, au fond, très persuadé que ceux de nos auteurs que nous trouvons si arrangés, voudraient pouvoir l’être moins, et pécher un peu plus contre les règles. Leurs ouvrages en seraient moins décents ; mais plus agréables, et mieux lus.

Reste encore un extrait, cette fois sélectionné par moi et retenu pour ses piquantes digressions sur la traduction. Je vous le livre sans faire l’effort, admirablement concédé par Thomas, du passage au français moderne. Il s’agit du début du chapitre XIII, « L’opéra » : 
Il seroit difficile de bien décrire l'opéra de l’isle Jonquille. Kiloho-éé en quelques endroits se plaint de la sécheresse de l’auteur japonois qui, à son tour, médit du chéchianien ; ce qui suppose que sans parler des autres traducteurs, le françois se plaint de tous les trois, et que le public se plaindra du dernier, et lui imputera, ou de s’être trop étendu sur des matieres stériles, ou d'avoir passé trop légérement sur des objets intéressans. Mais, à moins de manquer de sincérité, le traducteur peut-il donner des récits qu’il n' a pas trouvés ; et s’il les imaginoit dans les circonstances où ils pourroient être nécessaires, ne se sentiroient-ils pas du siecle où il vit, et pourroit-il, en se transportant même dans des tems aussi éloignés que sont ceux où ont vécu ses héros, rendre parfaitement des usages dont il ne reste plus aucune connoissance ? N’est-il pas plus à propos qu’il en prive ses lecteurs, que de leur en débiter des fables dont ils sentiroient bientôt l’absurdité ! Le devoir d’un traducteur fidele n'est autre chose que de suivre littéralement son auteur, si ce n’est que lorsqu’il ne l'entend pas bien, il peut le périphraser, le commenter, l’ajuster. Le traducteur de ce livre avoue franchement, que n’entendant pas parfaitement son auteur, il lui a prêté autant de sottises pour le moins qu’il lui en aura épargnées ; qu’il est devenu long, où le chinois étoit court ; précis, où il ne l’étoit pas ; obscur, où il étoit clair ; railleur, où il étoit moral ; galant, où il étoit philosophe ; et que de toutes les fautes qu’il a faites, il n’en fait excuse, ni n’en demande pardon au lecteur de quelque façon que ce puisse être, puisque le livre n’en seroit pas meilleur, et que cet avilissement ne le rendroit pas plus estimable. Toutes ces raisons, bonnes ou mauvaises, feront qu’on ne sçaura qu’imparfaitement ce que c’étoit que l’opéra dont il est ici question. A qui s’en prendre ? Un historien imagine quand il écrit, que la postérité sera au fait des usages qui regnent de son tems ; et c’est ce qui fait qu’aujourd’hui on ne sçait que par des conjectures, encore très-hasardées, quelle étoit la façon de vivre particuliere des romains, et qu’une chose de cette importance occupe mille sçavans, qui y emploient sans fruit leurs précieuses veilles. Après un exemple tel que celui-là, le traducteur doit être excusé ; et s’il ne l’est pas, il ne s’en doit plus mettre en peine. S’il avoit à rendre raison de toutes les impertinences qui sont dans ce livre, il ne finiroit point. Il est donc à propos qu’il dise, pour terminer ce long raisonnement, aussi ennuyeux pour lui que pour les lecteurs, que dans l’isle Jonquille, vulgairement le poëme d’un opéra étoit ridicule ; qu’il consistoit en de vieilles fables doucereusement r’habillées ; qu’essentiellement, le style en étoit fade, et la poésie lâche ; qu’il ne s’y agissoit ni de conduite ni d’intérêt …..
... la suite ne vous décevra pas. Lisez donc Crébillon, ou ce que vous voudrez, et pourquoi pas son contemporain anglais Henry Fielding (1707-1754) ... J'entame pour ma part l'Histoire de Tom Jones (trad. Francis Ledoux, Gallimard, « Folio-Classique », n° 4623) avec ses plus de 1000 pages aussi édifiantes que curieuses que drolatiques, dans lesquelles on ne croise pas de Chinois -- un véritable dépaysement.

vendredi 27 juillet 2012

Keul Madang 16 et la poésie coréenne


Un nouveau numéro de la revue en ligne Keul Madang. Litérature coréenne est sorti en juin. C'est le n° 16. Il est consacré à la poésie coréenne. Voici son éditorial, pour vous donner envie de le feuilleter à l'adresse http://www.keulmadang.com/ :
Royaume ermite, Pays du matin calme, Pays du matin clair, ou « Pauvre et douce Corée¹ ». Ces nombreuses dénominations, pleines d’une certaine volupté, suffiraient à illustrer l’ancrage de la poésie dans la culture coréenne.
Bercée de culture chinoise classique, elle  a su trouver  au fil des siècles une voix singulière, profondément enracinée dans la pratique du chant, et dont le succès ne s’est jamais démenti.
Fidèle au fonds spirituel et artistique de la Corée ancienne, la production poétique coréenne aura tout au long  du 20ème siècle cherché le moyen de s’inscrire dans sa contemporanéité. Une poésie proche des gens, témoin des jours difficiles, comme peut en témoigner le poète de Ko un qui aura traversé l’occupation japonaise, la guerre de Corée, la dictature militaire…
Une écriture « réaliste », propice à la pensée de l’instant ; des formes brèves « sijo », à la poésie narrative de  Shin Kyung-rim, ou encore le  silence ; la poésie se rencontre partout et à chaque instant en Corée. Elle se lit, s’écoute, se  contemple ; elle est en tout cas très vivante comme en témoigne le succès récent du film Poetry  de Lee Chang-dong, où l’on suit une femme à la recherche de sa voix…
Ce n’est pas l’ambition de cette nouvelle formule de Keulmadang que de présenter un panorama exhaustif de la poésie coréenne, thème que nous poursuivrons dans notre prochain numéro, mais de donner quelques impressions fugitives sur ce qui fait sans doute l’une des spécificité de la Corée : vivre en poésie.
¹ « Pauvre et douce Corée », Georges Ducrocq, 1901

mercredi 25 juillet 2012

Miscellanées littéraires (012)


Les vacances sont un excellent moment pour éponger une part du retard accumulé pendant l’année. J’ai donc mis à profit un peu de mon temps de repos pour alimenter un nouveau blog, ou carnet de recherche [scholarly blog], crânement baptisé KaserWeb [http://kaser.hypotheses.org/] et créé en février dernier sur la prestigieuse plateforme Hypotheses.org [voir sa fiche sur la page : http://www.openedition.org/11224]. Je vous invite à vous abonner à son fil RSS [http://kaser.hypotheses.org/feed] ou à glisser son adresse dans vos marque-pages. Il y sera question au fil des jours des différents dossiers et traductions en cours de réalisation, mais on y retrouvera aussi des vieilleries parées de nouveaux atours.

Pour l’heure c’est vers le tas de Miscellanées littéraires proposées voici de longues semaines par Thomas Pogu que je me tourne.

La première va nous fournir l’occasion de lire, ou de relire, un extrait issu des Lettres édifiantes et curieuses de Chine par des missionnaires jésuites (1702-1776) (Garnier-Flammarion, n° 315, 1979, 502 p.), ouvrage réédité en 2002 chez Desjonquères (258 p.) sous un titre légèrement différent, tout en reprenant la préface de Jean-Louis et Isabelle Vissière de l'Université de Provence (lesquels remercient de leur « amicale collaboration » leurs « collègues aixois » M. Patrick Destenay, M. et Mme Milsky). Des extraits de la préface donneront avantageusement une idée de l'influence qu'ont eue ces lettres sur la littérature et la philosophie européennes et notamment françaises (Voltaire !), tout en apportant quelques appréciables informations d'ordre historique et bibliographique :
« Le dernier recueil de lettres paraît en 1776, mais il faut croire que l'heure de la retraite n'a pas encore sonné pour les ex-Jésuites de Pékin. Comme si l'adversité les stimulait, ils fournissent un énorme travail de documentation sur la Chine : quinze volumes in-quarto ! Ce sont les Mémoires concernant l'Histoire, les Sciences, les Arts, les Mœurs, les Usages (...) des Chinois (1776-1791), qui avaient pour principaux rédacteurs les PP. Amiot et Cibot. Les Mémoires continuent tout naturellement les Lettres, comme les Lettres continuaient les Nouveaux Mémoires du P. Le Comte, parus en 1696. C'est ce labeur d'un siècle qui a permis aux Jésuites de fonder une science nouvelle, la sinologie. » (pp. 26-27)

« En 1702, le P. Le Gobien, procureur des Missions de la Chine à Paris, édite un volume intitulé : Lettres de quelques missionnaires de la Compagnie de Jésus écrites de la Chine et des Indes orientales. Le succès encourage le P. Le Gobien à publier un second recueil sous ce titre alléchant : Lettres édifiantes et curieuses écrites des missions étrangères par quelques missionnaires de la Compagnie de Jésus (1703). La formule sera exploitée jusqu'à la fin du siècle sous la direction, notamment, du P. du Halde, puis du P. Patouillet, tête de turc de Voltaire (et aussi de Hugo). (...) Pour les Jésuites du Grand Siècle comme pour les maîtres de pension de la Restauration, il s'agissait avant tout de lettres édifiantes, c'est-à-dire de propagande religieuse, destinées à exalter l’œuvre des missionnaires et à consolider la foi du lecteur en lui montrant l'héroïsme des nouveaux apôtres et des nouveaux martyrs.
Mais, plus encore qu'édifiantes, elles étaient curieuses, et c'est sans doute la vraie raison de leur succès au XVIIIe siècle. Faut-il rappeler que les sciences et les techniques suscitent l'intérêt du public cultivé au siècle de l'Encyclopédie ? que les récits de voyage réels ou imaginaires peuplent les bibliothèques du temps et que les Européens, après avoir découvert les étrangers d'Amérique et d'Asie, de Lilliput et des mystérieuses Terres australes, se découvrent eux-mêmes étrangers sous le regard des visiteurs siamois, persans, chinois, péruviens ? » (pp. 28-29)
Le passage retenu par Thomas est tiré d'une lettre portant en partie sur la difficulté d'apprendre, de parler et d'écrire le chinois. Elle se situe vers la fin du volume (pp. 468-470). Elle est précédée d’un petit commentaire liminaire :
La difficulté du chinois ou savez-vous prononcer les chou ?
-
Nous avons retenu cette lettre à cause de son caractère humoristique. En ce XVIIIe siècle où l'esprit est la chose du monde la mieux partagée, une lettre austère et ennuyeuse adressée à une femme du monde serait plus qu'un crime, une faute... de goût. Avant d'être missionnaire, le P. Bourgeois est "honnête homme" : il décrit donc ses difficultés sur le ton badin. Ces difficultés tiennent aux vraies et fausses homophonies de la langue chinoise.
Du P. François Bourgeois à Madame de ***  A Pékin, le 15 octobre 1769.
(...) Le chinois est bien difficile. Je puis vous assurer qu'il ne ressemble en rien à aucune langue connue. Le même mot n'a jamais qu'une terminaison ; on n'y trouve point tout ce qui dans nos déclinaisons distingue le genre et le nombre des choses dont on parle. Dans les verbes, rien ne nous aide à faire entendre quelle est la personne qui agit, comment et en quel temps elle agit, si elle agit seule ou avec d'autres. En un mot, chez les Chinois le même mot est substantif, pluriel, masculin féminin, etc. C'est à vous qui écoutez, à épier les circonstances et à deviner. Ajoutez à tout cela, que tous les mots de la langue se réduisent à trois cents et quelques-uns ; qu'ils se prononcent de tant de façons qu'ils signifient quatre-vingt mille choses différentes qu'on exprime par autant de caractères.
Ce n'est pas tout. L'arrangement de tous ces monosyllabes paraît n'être soumis à aucune règle générale ; en sorte que pour savoir la langue, après avoir appris tous les mots, il faut apprendre chaque phrase en particulier ; la moindre inversion ferait que vous ne seriez pas entendu des trois quarts des Chinois.
Je reviens aux mots. On m'avait dit : chou signifie livre. Je comptais que toutes les fois que reviendrait le mot chou, je pourrais conclure qu'il s'agissait d'un livre. Point du tout, chou revient, il signifie un arbre. Me voilà partagé entre chou livre, et chou arbre. Ce n'est rien que cela ; il y a chou grandes chaleurs, chou raconter, chou aurore, chou pluie, chou charité, chou accoutumés, chou perdre une gageure, etc. Je ne finirais pas, si je voulais rapporter toutes les significations du même mot.
Encore, si on pouvait s'aider par la lecture des livres ; mais non, leur langage est tout différent d'une simple conversation.
Ce qui sera surtout et éternellement un écueil pour tout Européen, c'est la prononciation. Elle est d'une difficulté insurmontable. D'abord chaque mot peut se prononcer sur cinq tons différents, et il ne faut pas croire que chaque ton soit si marqué, que l'oreille le distingue aisément. Ces monosyllabes passent d'une vitesse étonnante, et de peur qu'il ne soit trop aisé de les saisir à la volée, les Chinois font encore je ne sais combien d'élisions qui ne laissent presque rien de deux monosyllabes. D'un ton aspiré, il faut passer de suite à un ton uni ; d'un sifflement, à un ton rentrant ; tantôt il faut parler du gosier, tantôt du palais, presque toujours du nez. J'ai récité au moins cinquante fois mon sermon devant mon domestique, avant que de le dire en public. Je lui donnais plein pouvoir de me reprendre, et je ne me lassais pas de répéter. Il est tels de mes auditeurs chinois qui, de dix parties, comme ils disent, n'en ont entendu que trois. Heureusement que les Chinois sont patients, et qu'ils sont toujours étonnés qu'un pauvre étranger puisse apprendre deux mots de leur langue.
Aujourd'hui je suis un peu plus à l'aise. J'entends assez ceux qui viennent se confesser. On a même cru que je pouvais me charger de la congrégation des jeunes néophytes. Le père Dollière me la remit ces jours passés. J'ai l'honneur d'être, avec beaucoup de respect, Madame, etc. 
[Pour lire ce texte dans l'édition originale, Volume 29, 1773, voir pp. 268 à 273]
Un coup d’œil sur la page consacrée aux Lettres édifiantes et curieuses...  sur Bibliotheca Sinica 2.0 donnera sans doute le vertige à ceux qui ambitionneraient de lire la totalité de cette passionnante correspondance. Ceci fait, on pourra également se tourner vers le Père Lecomte (Un jésuite à Pékin. Nouveaux mémoires sur l’état présent de la Chine. 1687-1692. Phébus, 1990, 554 p., ou en ligne ici) et tant d’autres curiosités, mais aussi pourquoi pas en profiter pour se replonger dans les écrits d’Etiemble qui avouait avoir consacré plus de cinq ans de son existence à « ce moment de la conscience européenne » en préambule à ses Jésuites en Chine La querelle des rites (1552-1773) (Julliard, « Archives », 1966, 297p.) malheureusement épuisé. Cette préface enlevée porte pour titre : « Une ténébreuse affaire ». Bonne lecture estivale. Amen.  

vendredi 20 juillet 2012

Miscellanées littéraires (011)


Les lecteurs du précédent, et déjà fort ancien, billet sur Abel Rémusat seront sans doute heureux d'apprendre, grâce à l'excellente base de données Bibliotheca Sinica 2.0, que la Dissertatio de glossosemeiotice sive de signis morborum qua è linguâ sumuntur praesertim apud Sinenses. Quam in aulâ publicâ celeberrimae Facultatis Medicae Parisinae, pro Medicinae Doctoratûs gradu adipiscendo, die 25 augusti 1813, propugnare conabitur J. P. Abel – Rémusat, Parisiensis. (Paris: Didot 1813) est accessible sur Google Book (Voir ici).

Inutile de dire que Bibliotheca Sinica 2.0 qui « explores Sino-Western encounters by ways of texts and images published before 1939 and is intended as an extension of the bibliography Western Books on China in Libraries in Vienna/Austria, 1477-1939 » est un outil indispensable pour qui est à l'affût des traductions anciennes d'œuvres (littéraires ou non) chinoises. On jugera encore mieux de l'efficacité de ceux qui l'alimentent en s'abonnant au fil twitter  @BS_2 (https://twitter.com/BS_2)

On y trouve également (voir ici) la référence aux Recherches historiques sur la médecine des Chinois (Paris, Impr. Didot, 1813) de François Albin Lepage  (1793 - ?) qu'on peut télécharger et lire à partir du site de la Bibliothèque interuniversitaire de Santé (BIUM) (Ici).

Cette thèse soutenue à la Faculté de médecine de Paris, le 31 août 1813, soit  la même année que celle de Rémusat, s'organise en trois chapitres :
  1. De l'origine et des progrès de la Médecine, de son exercice à la Chine, et des systèmes des médecins chinois
  2. Thérapeutique, Matière médicale et Pharmacie des Chinois
  3. Considérations hygiéniques sur le climat, les productions et la population de la Chine ; les mœurs, la manière de vivre et les maladies les plus ordinaires des Chinois

On y trouve la piquante référence aux écrits des Jésuites que je vous livre ci-dessous :
Le P. Duhalde dit qu'il y a à Pékin des charlatans qui, après avoir examiné les maladies, répondent de vous guérir moyennant une somme qu'on ne leur donne qu'en cas que le succès couronne leur traitement. Il serait à désirer que les charlatans européens, à l'instar de ceux de Pékin, ne se fissent payer qu'après la guérison de leurs malades : on verrait bientôt diminuer le nombre des dupes des prétendus remèdes secrets, et en même temps aussi l'extrême impudence de leurs auteurs. (p. 15
 Portez-vous bien. (P.K.)

samedi 2 juin 2012

Réponse à la devinette (023)


La 23ème devinette n’aura tenu que quelques heures. Thomas Pogu n’a, en effet, pas mis longtemps pour identifier Jean-Pierre Abel-Rémusat (1788-1832), mais il n’a pas immédiatement compris pourquoi le rendez-vous avait été donné au 2 juin, et non au 4 juin comme le laissait supposer la notice Wikipedia consacrée au célèbre sinologue.  

Ceux qui liront jusqu’au bout le long extrait tiré de « La Chaire de langues et littératures chinoises et tartares-mandchoues », article composé en 1932, par un autre grand sinologue — Henri Maspero (1883-1945) —, comprendront pourquoi, et corrigeront une erreur souvent reproduite. « Une mort prématurée », la page consacrée à la mort de Rémusat sur le site de l’Association de recherches historiques en Val de Seine, Val d’Ecole, Pays de Bière, Gâtinais Françaisle Fil d’Ariane —  fixe également à aujourd’hui le 180ème anniversaire de la mort de Rémusat. 

L’illustration — Portrait lithographié par Achille Devéria (1800-1857) — provient du même ouvrage que ce texte très instructif (livré ici tel quel) qu’on retrouvera bardé des notes indispensables dans l’anthologie sur laquelle je travaille à mes moments perdus :  Le Collège de France (1530-1930). Livre jubilaire composé à l'occasion de son quatrième centenaire. Paris : Presses Universitaires de France, 1932 (pp. 355-359). 
Les études chinoises furent représentées au Collège de France pendant le XVIIIe siècle presque entier par un professeur d’arabe, Fourmont, et un professeur de syriaque, Deguignes, dont les travaux sinologiques, malgré leurs défauts, ont certainement beaucoup plus fait pour les rendre célèbres que leurs travaux sur l’arabe et le syriaque. Il n’y eut jamais de chaire de chinois ; et après la Révolution l’intérêt que le gouvernement impérial accorda à l’étude de la Chine se porta dans une autre direction, la publication du dictionnaire chinois de Basile de Glemona. Mais l’élargissement des études orientales à l’Extrême-Orient était une idée qui tenait à cœur à Silvestre de Sacy, alors le chef incontesté de l’orientalisme français, et il obtint la réalisation du gouvernement de Louis XVIII ;  le 29 novembre 1814, le roi, sur le rapport de l’abbé de Montesquiou, ministre de l’Intérieur, créa une chaire de chinois au Collège de France en même temps qu’une de sanscrit. C’est à cette chaire, demeurée longtemps la seule place d’enseignement scientifique relatif à l’Extrême-Orient, non seulement en France, mais en Europe, et à l’influence de ses titulaires successifs, qu’est dû tout le grand développement de la sinologie française au XIXe siècle.
    Le professeur nommé à la chaire nouvellement créée, Abel Rémusat, avait à peine vingt-huit ans, étant né le 5 septembre 1788 : il était donc trop jeune pour avoir connu Deguignes, mort en 1800, et c’est tout seul qu’il s’est formé. Il avait d’ailleurs commencé par des études de médecine, suivant les traces de son père, ancien chirurgien privilégié du roi, qui mourut en 1805. Ce fut, semble-t-il, le hasard qui l’attira vers la Chine. L’abbé de Tressan avait à l’Abbaye-au-Bois une collection d’antiquités et de curiosités qu’il ouvrait libéralement ; le jeune Rémusat y fut admis et y vit un herbier chinois qui l’intéressa : mis au défi de lire les notices qui accompagnaient les dessins des plantes, il se piqua d’honneur et se mit à l’étude de la langue chinoise. Les difficultés étaient considérables : non seulement il n’y avait à Paris aucun enseignement du chinois, mais encore les livres manquaient. La Bibliothèque Impériale en contenait, il est vrai, une belle collection : Rémusat y aurait trouvé en manuscrit quelques dictionnaires et quelques grammaires composés par des missionnaires du XVIIIe siècle, ainsi que le Notitia linguae sinicae du P. Prémare (1728). Mais Langlès, qui était alors conservateur du département des manuscrits orientaux, en refusa l’accès à cet étudiant en médecine de moins de vingt ans. Tout ce qu’il eut pour se guider, ce fut la mauvaise Grammatica sinica de Fourmont : il ne connut la grammaire de Varo, qui était l’original de celle de Fourmont, que plusieurs années après 1814 ; aucun dictionnaire : l’impression de celui de Basile de Glemona dont il avait été question dès 1080, commencée en 1809, ne fut achevée par Deguignes (le fils de l’ancien professeur de syriaque au Collège de France) qu’en 1813. Il lui fallut s’en faire un lui-même « à l’aide des ouvrages chinois dont nous possédons des versions et des paraphrases, en comparant ces dernières avec les originaux. » En dépouillant la Grammatica sinica de Fourmont, le Sapientia sinica d’Intorcetta, des traductions de l’Oraison Dominicale et du Symbole des Apôtres, la China illustrata de Kircher, etc., il avait réussi à se constituer dès la fin de 1808 un vocabulaire d’environ quinze cents caractères, avec prononciation et explication. D’autre part il se procura quelques dictionnaires purement chinois, le Tcheng tseu t’ong et le K’anhi tseu tien, peut-être aussi le Tseu houei : il avait sûrement les deux premiers avant 1811 et le dernier avant 1814. Enfin les travaux de Langlès sur le mandchou avaient depuis longtemps attiré l’attention sur cette langue et son intérêt comme intermédiaire de l’étude du chinois ; or, plus heureux pour le mandchou que pour le chinois, les étudiants possédaient depuis longtemps une grammaire et un dictionnaire imprimés : les Elementa linguae tartaricae du P. Verbiest (que tout le monde à cette époque attribuait par erreur au P. Gerbillon) qui avaient été publiés sans nom d’auteur dans le Recueil de Voyages de Thévenot (1696) et dont le P. Amyot avait donné une adaptation française incomplète dans les Mémoires concernant les Chinois (1878) ; et le Dictionnaire Tartare-Mantchou français du P. Amyot (1784), imprimé à Paris par Langlès en 1789-1790. Rémusat se mit à l’étude du mandchou presque en même temps qu’à celle du chinois, et dès 1811 il se sentait assez avancé pour « prendre les idiomes de la Tartarie pour l’objet d’un travail spécial. »
    En 1811, fort de ces études préliminaire, Abel Rémusat publia un Essai sur la Langue et [la] Littérature chinoises qui fut bien accueilli des orientalistes ; quatre ans plus tard Silvestre de Sacy rendant compte dans le Moniteur du 23 janvier 1815 de l’ouverture du cours de chinois au Collège de France, rappelait cet ouvrage et déclarait que « de ce moment tous ceux qui s’intéressent à la gloire littéraire de la France devaient concevoir les espérances les mieux fondées d’un talent qui, en triomphant de tous les obstacles par un travail opiniâtre et par la seule rectitude du jugement, avait donné des gages assurés des succès qui ne pouvaient manquer de couronner de telles dispositions.» En fait, c’est cet ouvrage ainsi que l’Etudes des Langues étrangères chez les Chinois publié la même année dans le Magasin encyclopédique (octobre 1811) qui attirèrent sur le jeune savant l’attention de deux hommes qui ne s’aimaient guère, Silvestre de Sacy et Klaproth. C’est à ce dernier que Rémusat dut de compléter définitivement son outillage scientifique, car c’est grâce à lui qu’il put « être prévenu à temps de la mise en vente de plusieurs dictionnaires manuscrits » : l’un d’eux était une très belle copie, exécutée en Chine en 1714-1715, du Dictionnaire de Basile de Glemona, qu’il acquit entre 1811 et 1814. La protection de Sacy fut à la fois désintéressée et plus active. La conscription de 1812 n’avait pas touché Rémusat, fils de veuve ; mais celle de 1813, qui rappela tous les exemptés des douze dernières années, le prit. Cependant comme les études chinoises ne lui avaient pas fait négliger les études médicales, et qu’il venait de passer le doctorat, cette année même, avec une thèse mi-médicale mi-sinologique : Dissertatio de glossosemeiologice, sive de signis morborum quae a lingua sumuntur praesertim apud Sinenses, il devint médecin aide-major ; l’entremise de Sacy le fit laisser à Paris à l’hôpital Montaigu, où il dirigea avec succès, paraît-il, le service des fiévreux. Ce fut encore à la protection de Sacy qu’il dut, l’année suivante, d’être nommée à la chaire de chinois créée au Collège de France.
    Rémusat ouvrit son cours le 16 janvier 1815. Comme il n’y avait alors à Paris aucun autre enseignement du chinois, il était naturel qu’il se consacrât avant tout à l’étude de la langue elle-même. Jusqu’à la fin de sa vie, il partagea ses trois cours hebdomadaires entre la grammaire et l’explication des textes. Dès la première année, il expose « les principes généraux de la langue chinoise et l’usage des particules dans le Kou-wen ou style antique et le Kouanhoa ou mandarinique » ; l’année suivante, il y joint « les éléments du mantchou », et ce double enseignent grammatical se poursuit régulièrement tous les ans, en y ajoutant l’explication de divers textes : la stèle chrétienne de Si-ngan-fou (année 1815), « les livres moraux de Confucius en comparant la version mandchoue avec le texte original » (1815-1816), le Chou king « en chinois et mantchou » (1828-1829), des livres taoïstes, Tao tö king (1826-1827), Kan ying pien (1815-1816), etc., et aussi des romans pour la langue mandarine.
    Le cours de grammaire que Rémusat faisait chaque année fut d’abord dicté par lui pendant le premier semestre à ses auditeurs. Grâce à l’expérience que lui fournissait l’enseignement, il put arriver à en perfectionner peu à peu l’exposé. En 1820, il se décida à en établir une version définitive pour l’impression : l’ouvrage parut à la fin de 1821 (il est daté par anticipation de 1822) sous le titre de Eléments de Grammaire Chinoise ou Principes généraux du Kou-wen ou style antique et du Kouan-hoa, c’est-à-dire de la langue commune généralement usitée dans l’Empire Chinois. Ce n’était pas la première grammaire chinoise imprimée, puisque, sans même parler de la vieille grammaire mandarine de Varo qui datait de plus d’un siècle (1703), Marshman et Morrison venaient chacun de publier une grammaire nouvelle, le premier en 1814, et le second en 1815, mais c’était la première traitant à la fois de la langue écrite et de la langue parlée qui y occupaient chacune une partie, et surtout c’était la première où la grammaire était exposée en tenant compte du génie propre de la langue chinoise, et non pas comme un exercice de traduction où toutes les formes grammaticales des langues européennes, déclinaisons, conjugaisons, etc., imposaient leur moule. C’était le premier exposé scientifique de la langue chinoise.
    Mais déjà à ce moment l‘étude de la langue avait pour Rémusat passé au second plan pour faire place à l’inventaire systématique et au dépouillement méthodique d’une littérature qu’il commençait à découvrir. Les difficultés qui au début de sa carrière lui avait fermé l’accès des collections des livres envoyés de Chine à la Bibliothèque du Roi au XVIIIe siècle, avait disparu en 1816, quand il obtint d’être chargé du catalogue des livres chinois de cette Bibliothèque ; subitement la plus grande partie de la Bibliothèque chinoise lui était devenue accessible, pour l’exploration de laquelle le catalogue de Fourmont, avec ses défauts et son ancienneté (il datait de 1742), ne pouvait être qu’un premier guide, et encore un guide incomplet puisque depuis trois quarts de siècle la collection s’était accrue de près de moitié. Il ne paraît pas avoir connu le catalogue du Sseu k’ou ts’iuan chou, cette grande bibliographie du XVIIIe siècle, puisque ce sont les chapitres bibliographiques de Wen hien t’ong k’ao de Ma Touan-lin qu’il prit pour base de son travail, bien que l’ouvrage datât du XIIIe siècle, quand il entreprit un catalogue général qui devait être en même temps une bibliographie : description détaillée des ouvrages, notes biographiques sur les auteurs, études sur les éditions, rien ne devait y manquer. Bien plus, en 1825, quand il eut succédé à Langlès comme conservateur du département des livres orientaux, il élargit encore ce plan déjà trop vaste en décidant d’y adjoindre une traduction complète des chapitres bibliographiques du Wen hien t’ong k’ao, même pour les livres qui ne se trouvaient pas à Paris. L’entreprise était trop considérable pour être menée à bonne fin, surtout à cette époque ; le simple catalogue lui-même ne fut pas achevé. Le premier volume sur les Classiques semble avoir été le seul rédigé ; une copie en fut préparée pour l’impression, mais Rémusat mourut avant d’avoir terminé l’insertion des caractères chinois pour lesquels la place  avait été réservée par le copiste.
    Si son entrée à la Bibliothèque du Roi lui avait imposé un travail nouveau, avec la préparation du catalogue, elle avait eu l’avantage de lui ouvrir une large perspective sur l’ensemble de la littérature chinoise : l’acquisition de la langue cessait d’être une fin pour devenir un moyen, et il put se livrer à des études sur la religion, la philosophie, l’histoire, la littérature, etc. Le plan suivant lequel il avait entrepris son grand catalogue exigeait des recherches biographiques sur les écrivains : c’est à cela qu’on doit les vies d’historiens et de poètes qu’il publia dans les Nouveaux mélanges Asiatiques. Mais au début, ce fut surtout le confucianisme qui l’attira, comme il était normal, et non content de traduire un des opuscules attribués à Confucius, le Tchong yong (1818), il chercha à faire connaître les principaux parmi ses premiers disciples dans des articles qui parurent dans le même recueil. Il fut moins bien inspiré par Lao-tseu et la philosophie taoïste, dont il crut trouver l’origine dans l’école pythagoricienne (1823). A ce moment il avait attaqué l’étude de l’histoire mongole, sur laquelle son volumineux Mémoire sur les relations politiques des princes chrétiens et particulièrement des rois de France avec les empereurs mongols (1824-1828) apporta des documents importants. Mais ce sont surtout ses travaux sur le Bouddhisme qui constituent son œuvre capitale, en particulier sa traduction du Fo kouo ki, récit du voyage que fit dans l’Inde, au Ve siècle, le religieux chinois Fa-hien pour aller visiter les lieux saints et chercher des livres de discipline monastique. Outre l’intérêt propre de l’ouvrage, c’était ouvrir une question qui n’a cessé de passionner les sinologues, celle des relations anciennes de la Chine et du monde occidental, et de l’influence que les civilisations de l’ancien monde ont pu exercer les unes sur les autres. Il faut ajouter que la traduction était remarquable pour une époque où les notions sur la religion bouddhique étaient encore les plus vagues, et où on connaissait à peine la géographie de l’Asie centrale et l’histoire de l’Inde. L’auteur mourut avant d’avoir pu y mettre la dernière main, et se fut son élève Landresse, qui, aidé de Klaproth, le mit en état d’être publié.
    Abel Rémusat mourut en effet du choléra le 2 juin 1832, en pleine maturité.

vendredi 25 mai 2012

Devinette (023)

« Qui suis je ? »

Voici donc la 23ème devinette d'une série interrompue, le 1er avril 2010 avec une 22ème devinette élucidée par Alain Rousseau (voir les commentaires). Les réponses à celle-ci, bonnes ou mauvaises, et, le cas échéant, la solution, seront données le 2 juin prochain —— date qui n'a pas été choisie au hasard. A bientôt. (P.K.)

vendredi 4 mai 2012

Certains désordres


Après une évocation minimaliste de la fête du 1 mai (wu yi 五一), et avant l'évocation prochaine des événements du 4 juin 1989 (liu si 六四), voici une petite page d’histoire en ce jour anniversaire (le 93ème) du début de ce qu’on appelle le « Mouvement du 4 mai » chinois ou  « Wu si yundong » 五四运动 / 五四運動.

Comme l'écrivait Lucien Bianco, dans le numéro 3 du volume 19 des Annales. Economies, Sociétés, Civilisations, page 604 [en ligne], au début d'un compte rendu pour un ouvrage de Chow Tse-tsung 周策縱 (7 janvier 1916 - 7 mai 2007) qui était selon lui en 1964, « une des contributions les plus importantes de ces dernières années à l'étude de l'histoire chinoise contemporaine » — il s'agit de The May fourth Movement. Intellectual Revolution in Modern China. Cambridge (MASS), Harvard University Press, 1960 — :
 « le « Mouvement du 4 mai », c'est d'abord la manifestation qui se déroule à Pékin le 4 mai 1919 ; ce jour-là, les étudiants, défilant dans les rues, protestent contre la politique des puissances, qui, dans l'élaboration du Traité de paix de Versailles, sacrifient les intérêts de la Chine en acceptant de transférer au Japon les droits acquis avant la guerre par l'Allemagne dans la province du Shantung [Shandong]. Mais, au delà de cet incident, l'expression : « Mouvement du 4 mai » s’entend un vaste mouvement de modernisation tendant à reconstruire une Chine nouvelle par l’application de réformes intellectuelles et sociales. Le mouvement, lancé par les étudiants et les milieux littéraires, obtient rapidement le soutien des classes nouvelles : bourgeoisie et ouvriers, ce qui lui permet de remporter un certain nombre de victoires. C’est ainsi que les délégués chinois à la conférence de Versailles, pressés par la violente campagne d’opinion déclenchée dans leur pays, et malgré des instructions contraires du gouvernement de Pékin, refusent d’apposer leur signature au traité de paix qui spolie la Chine du Shantung. Par la suite le mouvement se politise et perd son unité originelle.»
Je ne sais pas à partir de quelle date les événements du 4 mai ont été connus en France. Je n’ai retrouvé, grâce à Gallica, qu’une vague mention de « certains désordres » provoqués en Chine par « l’échec diplomatique subi par le gouvernement chinois sur la question du Chantoung [Shandong] », désordres ayant conduit à la démission du gouvernement, dans l’Humanité du 17 mai 1919. Huit jours auparavant dans les colonnes du même quotidien (9 mai), on pouvait lire sous le titre « Colonies allemandes » : 
 « Presque aussi abominable que l’annexion déguisée du bassin de la Sarre est le traitement qu’on inflige aux colonies allemandes. Les socialistes ont toujours combattu le colonialisme capitaliste parce qu’il crée, par le développement des appétits de conquête des conflits internationaux et parce qu’il brutalise les peuples les plus faibles. Mais puisque, le capitalisme étant maintenu, le colonialisme subsiste, il est certain que la populeuse et industrielle Allemagne à besoin de colonies comme les autres grandes nations. Le président Wilson commit sa plus grosse faute — lorsqu’il accepta que l’Allemagne fût dépouillée de ses colonies au profit des vainqueurs. La colonie allemande de Kiao-Tcheou qui aurait dû faire retour à la Chine est volée à celle-ci par le Japon. C’est ici un Etat allié qui dépouille un autre Etat allié./.../ Les peuples des colonies allemandes sont traités comme bétail et les Etats vainqueurs se les partagent.»
Le « Mouvement du 4 mai» est commémoré depuis 1949 en République populaire de Chine sous le nom de « Qingnian jie »  青年节, « Fête de la Jeunesse » et à Taïwan, sous le nom de « Fête de la Littérature », « Weiyi jie » 文藝節 depuis 1945.