vendredi 4 mai 2012

Certains désordres


Après une évocation minimaliste de la fête du 1 mai (wu yi 五一), et avant l'évocation prochaine des événements du 4 juin 1989 (liu si 六四), voici une petite page d’histoire en ce jour anniversaire (le 93ème) du début de ce qu’on appelle le « Mouvement du 4 mai » chinois ou  « Wu si yundong » 五四运动 / 五四運動.

Comme l'écrivait Lucien Bianco, dans le numéro 3 du volume 19 des Annales. Economies, Sociétés, Civilisations, page 604 [en ligne], au début d'un compte rendu pour un ouvrage de Chow Tse-tsung 周策縱 (7 janvier 1916 - 7 mai 2007) qui était selon lui en 1964, « une des contributions les plus importantes de ces dernières années à l'étude de l'histoire chinoise contemporaine » — il s'agit de The May fourth Movement. Intellectual Revolution in Modern China. Cambridge (MASS), Harvard University Press, 1960 — :
 « le « Mouvement du 4 mai », c'est d'abord la manifestation qui se déroule à Pékin le 4 mai 1919 ; ce jour-là, les étudiants, défilant dans les rues, protestent contre la politique des puissances, qui, dans l'élaboration du Traité de paix de Versailles, sacrifient les intérêts de la Chine en acceptant de transférer au Japon les droits acquis avant la guerre par l'Allemagne dans la province du Shantung [Shandong]. Mais, au delà de cet incident, l'expression : « Mouvement du 4 mai » s’entend un vaste mouvement de modernisation tendant à reconstruire une Chine nouvelle par l’application de réformes intellectuelles et sociales. Le mouvement, lancé par les étudiants et les milieux littéraires, obtient rapidement le soutien des classes nouvelles : bourgeoisie et ouvriers, ce qui lui permet de remporter un certain nombre de victoires. C’est ainsi que les délégués chinois à la conférence de Versailles, pressés par la violente campagne d’opinion déclenchée dans leur pays, et malgré des instructions contraires du gouvernement de Pékin, refusent d’apposer leur signature au traité de paix qui spolie la Chine du Shantung. Par la suite le mouvement se politise et perd son unité originelle.»
Je ne sais pas à partir de quelle date les événements du 4 mai ont été connus en France. Je n’ai retrouvé, grâce à Gallica, qu’une vague mention de « certains désordres » provoqués en Chine par « l’échec diplomatique subi par le gouvernement chinois sur la question du Chantoung [Shandong] », désordres ayant conduit à la démission du gouvernement, dans l’Humanité du 17 mai 1919. Huit jours auparavant dans les colonnes du même quotidien (9 mai), on pouvait lire sous le titre « Colonies allemandes » : 
 « Presque aussi abominable que l’annexion déguisée du bassin de la Sarre est le traitement qu’on inflige aux colonies allemandes. Les socialistes ont toujours combattu le colonialisme capitaliste parce qu’il crée, par le développement des appétits de conquête des conflits internationaux et parce qu’il brutalise les peuples les plus faibles. Mais puisque, le capitalisme étant maintenu, le colonialisme subsiste, il est certain que la populeuse et industrielle Allemagne à besoin de colonies comme les autres grandes nations. Le président Wilson commit sa plus grosse faute — lorsqu’il accepta que l’Allemagne fût dépouillée de ses colonies au profit des vainqueurs. La colonie allemande de Kiao-Tcheou qui aurait dû faire retour à la Chine est volée à celle-ci par le Japon. C’est ici un Etat allié qui dépouille un autre Etat allié./.../ Les peuples des colonies allemandes sont traités comme bétail et les Etats vainqueurs se les partagent.»
Le « Mouvement du 4 mai» est commémoré depuis 1949 en République populaire de Chine sous le nom de « Qingnian jie »  青年节, « Fête de la Jeunesse » et à Taïwan, sous le nom de « Fête de la Littérature », « Weiyi jie » 文藝節 depuis 1945.

jeudi 3 mai 2012

Printemps du Japon en Pays d'Aix, 9ème édition.


Comme il n'y a plus de temps à perdre, je vous communique tel quel un courriel reçu ce jour. Son contenu ravira les amateurs du Japon qui vivent dans le beau Pays d'Aix :
Bonjour,

Je me permets de vous contacter pour vous annoncer le début de la 9ème édition du festival Printemps du Japon en Pays d'Aix qui se déroulera du 3 au 26 mai. Au programme, trois semaines d'ateliers, conférences, expositions et journées thématiques pour japoniser le Pays d'Aix.

Le point fort du festival est une représentation de théâtre Nô le mercredi 9 mai à 20h30. Le spectacle sera réalisé par la troupe de maître Kano, accompagné de 30 acteurs, musiciens et danseurs spécialement venu de la ville de Kumamoto, qui mettrons en scène cette année leur dernière production: "Jeanne d'Arc" mêlant ainsi culture Française et culture Japonaise au sein de l'unique théâtre Nô au monde en dehors du Japon.

Ce soir [03/05/12] se déroule également l'inauguration en mairie du festival, à partir de 17h30 avec une dégustation de sushis ainsi qu'une conférence sur la situation du Japon. 

Le programme complet du festival est disponible sur notre site internet : www.mdjm.org

En espérant avoir l'honneur de votre présence,
Veuillez agréer mes salutations distinguées.

MARQUEZ-SANTO Aurore
Responsable de la communication
Festival Printemps du Japon 2012

Voir également la page Facebook du Festival :  
 
A ne pas manquer, l'appétissante intervention de notre collègue Arnaud Brotons sur le thème :
« Nos ancêtres furent-ils cannibales ? 
Controverse sur l’identité japonaise au cours de la restauration impériale. » 
(Aix-en-Provence, FNAC, le 15 mai à 17 h.)

mardi 1 mai 2012

lundi 30 avril 2012

Zhu Xi réactivé (1/2)

 Source de l'illustration : kobai.co.kr

Avant un « Tang Xianzu ressuscité » que je vous promets depuis belle lurette, voici dans la même catégorie des ouvrages à ne pas manquer, un Zhu Xi 朱熹 (1130-1200) réanimé, revivifié, ou réactivé, dont le caractère entier nous a été [voici quatre ans maintenant !] rendu pour un usage contemporain :

Zhu Xi, Mémoire sur la situation de l'Empire (Wu-shen fengshi) 1188.
Traduit du chinois, présenté et annoté par Roger Darrobers.
Paris : Editions You Feng, 2008, 192 p.

L'ouvrage n'est plus tout neuf, je vous le concède. Il en avait été question, rappelez-vous, dans l’avant-dernière dernière devinette [021] présentée sur ce blog le 6 juin 2009. Mais, cette traduction du Wu-shen fengshi 戊申封事 est, sans conteste, un ouvrage de haute sinologie, c'est-à-dire un ouvrage savant, pointu et précis, mais qui sait aussi s'adresser avec la même clarté au non-spécialiste qui en tirera, s'il fait le premier pas, des enseignements quelle que soit sa curiosité initiale pour lui — le spécialiste, lui aussi, comblera ou complétera par sa lecture un pan de ses connaissances : l'un et l'autre y trouveront leur compte sans qu'à aucun moment ils n'aient rien à redire sur la méthode appliquée par le sinologue-traducteur — la seule réserve à formuler, réside dans l'absence des caractères, mais elle s'appliquerait de la même manière si l'ouvrage avait été publié dans une collection telle que « Connaissance de l'Orient » (il y avait assurément sa place) ; la seule façon de la faire tomber eut, sans doute, été de l'intégrer dans une de ces collections savantes, onéreuses et inconnue du public, telles que les publications de l'Ecole Française d'Extrême-Orient ou celles de l'Institut des Hautes Etudes chinoises. Le problème du choix par défaut des Editions You-Feng reste néanmoins entier : l'ouvrage ne sera guère mieux diffusé que les travaux estampillé "IHEC", ou "BEFEO" : il vous faudra sans aucun doute recourir à la commande directe sur le site de l'éditeur pour accéder à ses publications qui n'arrivent pas, ou pas souvent, dans les librairies non spécialisées — le bouche à oreille devrait compenser le manque de voilure de la diffusion. Néanmoins, que le lecteur se rassure, l'ouvrage se distingue des autres publications du libraire-éditeur parisien par une attention particulière portée au moindre détail : de la qualité du papier à la reliure ; tout — mise en page, choix de la police, notes de bas de page, etc. — , est finement agencé depuis la page de titre jusqu'au texte chinois reproduit en annexe.

    Roger Darrobers n'en est pas à son coup d'essai. Les curieux ont déjà repéré que le discret Professeur de l'université Paris X-Nanterre, qui défendit, un temps, la culture française à Pékin, et écrivit si joliment sur cette ville (voir sur ce blog), avait inscrit à son tableau de chasse une bonne collection de traductions dont les dernières avait révélé au public français l'œuvre et la personnalité de Liu Xinwu 劉心武 (1942-) (Bleu de Chine) ; cette fois, c'est Zhu Xi avec un travail dans la lignée d'un plus ancien sur un texte de Kang Youwei 康有為 (1858-1927), Manifeste à l’Empereur adressé par les candidats au doctorat publié en 1996 (You-Feng, 198 p.), sur lequel j'avais eu l'occasion d'écrire : « On aurait bien du mal à trouver le moindre reproche à faire au maître d’œuvre de cet ouvrage qui brille par son excellence et son originalité. ... Sa traduction est aussi agréable à lire que précise et rigoureuse. On peut du reste juger de la rigueur qu’il a déployée en la confrontant au texte original fourni en appendice, confrontation qui convaincra de la difficulté à rendre en français une écriture érudite, couchée dans le sabir parfois opaque du lettré chinois. » Les compliments tiennent toujours même s’il ne s’agit plus du « deuxième des trois manifestes que le réformiste avait soumis à l’attention de l’empereur Guangxu  光緒 (r. 1875-1909), avant dernier souverain de la dynastie Mandchoue (Qing, 1644-1911) », mais du mémoire adressé, à son souverain, par un des penseurs chinois les plus importants après Confucius.

    Mais de quoi parle donc ce texte et en quoi mérite-t-il d'être ressuscité plus de huit siècles après son apparition dans la Chine des Song du Sud ? Lisons des bribes de la longue et brillante introduction (pp. 9-52) : « [Le] Mémoire scellé de 1188 [est une] contribution majeure à la compréhension de la vie politique sous les Song du Sud. Long de quelque douze mille caractères en chinois, le Mémoire scellé de 1188 offre également une clé « fondamentale pour appréhender la pensée de Zhu Xi » [Shu Jingnan 束景南]» [...] Loin des spéculations abstraites ou d’une méditation visant à atteindre le salut individuel, la pensée de Zhu Xi répond ici à une finalité pragmatique, destinée à contribuer à un meilleur gouvernement, en exhortant l’empereur à se confronter à des préceptes moraux en  contrôlant ses désirs et en renonçant pour une part à ses prérogatives régaliennes, autrement dit en récusant l’absolutisme. » [pp. 38-40] « Le Mémoire scellé de 1188 constitue [...] le texte le plus virulent et le plus engagé adressé au trône par Zhu Xi. Délaissant les points de détails techniques, présents dans ses textes antérieurs, il dresse un terrible réquisitoire contre l’incurie et la corruption de son temps. » [pp. 46-47]

    Le contenu de ce manifeste garde tout son intérêt. Les souverains et gouvernants de nos jours auraient aussi bien besoin de leur Zhu Xi. Qu’ils lisent, à défaut, ce Mémoire sur la situation de l’Empire de toute urgence car il leur ouvrira la voie à une autre lecture qui vient juste de sortir :

Zhu Xi, Lu Jiuyuan
Texte présenté, traduit et annoté par Roger Darrobers et Guillaume Dutournier. 
Paris : Les Belles Lettres, « Bibliothèque chinoise », 2012, CXXII, 168 p.

Cette traduction du Zhu [Xi] Lu [Jiuyuan] Taiji zhi bian 朱[熹]陸[九淵]太極之辯, fera, un de ses jours prochains, l’objet d’un billet intitulé «  Zhu Xi réactivé (2/2) ».

Mais avant d'en tourner les pages, je vous invite à relire mon extrait préféré du présent ouvrage  :
 « C'est lorsqu'on est authentiquement capable de commencer par le plus difficile, que le plus facile se réalise spontanément, sans qu'il soit nécessaire d'en parler. Refuser de commencer par le plus difficile, en souhaitant inopinément gagner le plus facile, fût-ce en en parlant sans cesse du matin au soir, se ramène à de vaines palabres, justes bonnes à satisfaire les idées du moment. »